Sur la piste des artistes de la métamorphose

Parfois, les virus et les bactéries se modifient génétiquement de manière à développer de nouvelles caractéristiques qui les rendent plus dangereux pour l'homme. Les modèles mathématiques de Tanja Stadler permettent de comprendre à quelle vitesse ils peuvent se modifier et se propager.

Visualisation des virus de la grippe
Les virus de la grippe mutent en quelques mois lors d'une épidémie. (Image : iStock/Bjorn Meyer)

Comment se fait-il que de nombreux antibiotiques ne soient plus efficaces chez les animaux et les humains ? Quel est le lien entre la résistance des bactéries aux antibiotiques et les virus à l'origine de maladies infectieuses comme la grippe ou Ebola ? Et que partagent-ils avec l'évolution des pingouins ?

Aussi différents que soient ces phénomènes : Les processus qui les sous-tendent peuvent être décrits par des modèles mathématiques qui se ressemblent beaucoup. C'est là qu'intervient Tanja Stadler avec sa recherche fondamentale. Aujourd'hui professeure au Département des systèmes biologiques, la mathématicienne s'intéresse aux virus, aux bactéries, aux cellules souches et à l'origine des espèces.

Leur attention se porte sur l'information génétique qui se trouve dans le matériel génétique de tous les êtres vivants et des virus. Gr?ce aux méthodes d'analyse biologique les plus récentes, comme le séquen?age de l'ADN, cette information est aujourd'hui relativement facile à obtenir. Elle permet de comprendre les processus qui influencent le déroulement des épidémies ou l'évolution. En principe, les séquences génétiques peuvent être lues comme un "livre de vie".

Des modèles comme loupes

C'est à Galileo Galilei que l'on doit la phrase selon laquelle le livre de la nature est écrit dans le langage des mathématiques. Ces deux images conviennent à Tanja Stadler, après tout, elle associe la recherche fondamentale en mathématiques à l'application en biologie et en médecine. "Nous concevons des modèles mathématiques qui permettent de saisir et d'expliquer l'évolution et la modification de l'information génétique", explique-t-elle. On peut se représenter ces modèles comme une loupe qui permet de comprendre à nouveau des passages jusqu'ici illisibles du livre de la vie.

Stadler tire les bases théoriques de ses modèles de la stochastique : cette branche des mathématiques étudie les processus aléatoires et les modèles d'événements et d'évolutions qui ne se produisent que parfois, parce que le hasard y joue un r?le, et pour lesquels on ne peut pas prédire quand ils se produiront exactement. Les processus de naissance et de mort constituent un domaine de spécialité dans les recherches de Stadler. Elle les applique aux mutations génétiques et à la reproduction. Les mutations se produisent aussi soudainement et seulement parfois. Mais lorsqu'elles se produisent, elles sont transmises lors d'événements reproductifs aléatoires.

"Nous concevons des modèles mathématiques qui permettent d'expliquer l'évolution et la modification de l'information génétique".Tanja Stadler, professeure associée au Département des systèmes biologiques à B?le
Tanja Stadler
(Photo : ETH Zurich / Yves Bachmann)

Stadler utilise des processus aléatoires pour étudier les taux de changement : A quelle vitesse l'information génétique des hommes et des animaux, des organismes et des virus change-t-elle ? A quelle vitesse est-elle héritée par les descendants, voire transmise à d'autres espèces ? Il peut s'agir de changements à très long terme : En collaboration avec des chercheurs néo-zélandais, elle a pu démontrer que les premières espèces de pingouins sont apparues il y a 12,5 millions d'années.

Les changements rapides sont particulièrement révélateurs pour la médecine et la gestion des épidémies : Les virus de la grippe mutent de telle manière que les patients sont déjà infectés par des virus mutés de manière très différente lors d'une épidémie de quelques mois. Les bactéries dans la production animale peuvent se modifier en quelques semaines ou mois de telle sorte qu'elles échappent à l'action des antibiotiques. Mais à quelle vitesse transmettent-elles une telle résistance à la génération suivante ou l'utilisent-elles pour infecter les humains ?

"Si nous disposons en permanence de données génétiques actualisées, nous pouvons déterminer à quelle vitesse un virus mutant ou une bactérie résistante se propage dans une ville ou une région, et tirer des conclusions sur le risque de contagion pour les humains", explique Stadler. Il est également possible de comprendre les voies de transmission d'un agent pathogène : Plus l'information génétique des agents pathogènes de deux personnes différentes est similaire, plus l'agent pathogène a été transmis directement entre ces personnes.

Données rares, modèles intelligents

Seulement, les voies de transmission des agents pathogènes au cours d'une épidémie sont souvent si enchevêtrées et aléatoires que Stadler doit se contenter de relativement peu de données de séquen?age. La plupart du temps, seule la séquence génétique d'un agent pathogène de quelques patients ou animaux est connue, et seulement à un moment unique pendant l'infection - "Sparse Data" ou "données éparses" est le mot-clé, et non "Big Data". "Nous travaillons toujours avec des instantanés incomplets", dit-elle. C'est comme si on voulait écrire l'histoire d'une ville entière, mais qu'on n'avait qu'une seule photographie.

Telle une détective, Stadler utilise son flair scientifique pour obtenir une base de données pertinente. Pour ce faire, elle collabore avec les chercheurs de l'H?pital universitaire de B?le, par exemple sur les colibacilles résistants aux antibiotiques. Pour estimer leur propagation, elle a combiné des données de patients de l'h?pital avec des données issues de la production animale et agricole et des eaux usées. Les données de séquence doivent notamment permettre de savoir ce qui se passe lorsque des germes résistants se développent dans la production animale. Pour que les modèles mathématiques compensent les données incomplètes, leurs hypothèses doivent correspondre à l'état des connaissances en biologie et en médecine, explique Stadler. Sinon, les résultats deviennent imprécis - comme elle l'a démontré pour l'épidémie d'Ebola de 2014.

Tanja Stadler a un rêve : elle écrit encore un modèle pour chaque question individuelle. Un pour la grippe, un pour les colibacilles, un pour les pingouins et ainsi de suite. Comme les membres d'une famille, ces modèles partagent certaines caractéristiques. A partir de là et "parce que je peux dire pour chaque modèle à quelles questions il ne répond pas", Stadler veut en déduire un "super-modèle" qui puisse être appliqué indifféremment aux virus, aux bactéries, aux animaux et aux hommes. "Ce genre de questions de recherche d'ordre supérieur me procure un plaisir particulier".?

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