Communiquer ultra-rapidement

La lumière permet de transmettre des données de manière efficace et à des débits très élevés. Jürg Leuthold, directeur de l'Institut des champs électromagnétiques, explique comment les limites du possible continuent à être repoussées.

ETH-Globe : Quand nous étions enfants, nous nous envoyions des signaux en morse dans l'obscurité en allumant et en éteignant notre lampe de poche. De quoi s'agit-il aujourd'hui ?
Jürg Leuthold : En fait, avec ce principe, vous êtes déjà assez loin dans la modernité. En effet, jusqu'en 2005, nous avons toujours travaillé selon ce principe dans la technique de communication optique : Le signal, c'est-à-dire la lumière, est présent - ce qui correspond à un un, ou le signal, c'est-à-dire la lumière, n'est pas présent - ce qui correspond à un zéro. La seule chose qui a changé jusqu'en 2005, ce sont les vitesses de commutation. Tout est devenu de plus en plus rapide.

L'utilisation de c?bles à fibres optiques a constitué une étape importante vers une transmission toujours plus rapide des données.
Vrai. Au lieu d'électrons, comme dans l'ancien c?ble en cuivre, ce sont aujourd'hui des photons, c'est-à-dire des particules de lumière, qui traversent le c?ble en fibre optique. Il est ainsi possible de transmettre beaucoup plus d'informations par unité de temps. En 1996, on a réussi pour la première fois à transmettre un térabit par seconde en allumant et en éteignant la lumière - autrement dit un billion de fois ou 1012 fois par seconde. Un nouveau mur du son avait ainsi été franchi.

Mais ce n'était pas encore la fin ?
En 2001, un important travail théorique sur la capacité de transmission maximale possible dans la fibre optique a été publié dans la revue spécialisée "Nature". Ce travail suggérait que la capacité de transmission maximale possible devait être d'environ 100 térabits par seconde. Dans la pratique, cela était toutefois considéré comme inaccessible. On s'attendait à une transmission optimale de 10 térabits par seconde. La même année, nous avons réalisé qu'il était également possible en optique de coder la lumière différemment de ce qui se faisait jusqu'alors. Jusqu'en 2001, nous n'avions en fait accès qu'au signal dans son ensemble sous la forme "lumière allumée, lumière éteinte". Mais nous disposions alors de nouveaux composants qui nous ont permis de mieux coder, ce que l'on appelle le codage de phase.

Vue agrandie : Jürg Leuthold
Jürg Leuthold travaille dans son laboratoire avec les "interrupteurs de lumière les plus rapides du monde". (Photo : Marvin Zilm)
    "10 Gbit/s seront bient?t une réalité pour l'utilisateur à la maison".Jürg Leuthold

Qu'est-ce que cela signifie exactement ?
La lumière est une onde. La phase d'une onde indique à quel moment la montagne et le creux de l'onde sont envoyés. On pourrait par exemple, au sein d'une onde, envoyer d'abord le sommet puis le creux, ou inversement. C'est de l'information. La difficulté est cependant celle-ci : L'onde lumineuse dont nous parlons oscille environ 200 billions de fois par seconde. Détecter la phase absolue d'une telle onde lumineuse semblait impossible à l'époque.

Quelle a été votre contribution ?
? l'époque, je travaillais pour les Bell Labs aux ?tats-Unis. Un collègue et moi avons eu de la chance - nous ne connaissions en effet pas les théories qui suggéraient l'impossibilité du codage de phase dans la communication optique. Nous avons eu l'idée de mesurer non pas la phase absolue, mais la phase relative d'un bit à l'autre. C'est beaucoup plus simple. Cette méthode de codage est connue sous le nom de "Differential Phaseshift Keying". J'avais déjà construit un récepteur spécial à cet effet.

Et ?a a marché ?
Gr?ce à notre méthode, nous avons pu battre d'un seul coup le record mondial de l'époque en matière de transmission de données, en le multipliant par deux. Depuis 2005, les premiers réseaux utilisant le Differential Phaseshift Keying sont entrés en service. Depuis lors, les autoroutes de l'information des grands opérateurs de réseau transmettent principalement des signaux codés en phase, et l'ère de l'allumage et de l'extinction des lumières touche à sa fin. Il y a environ quatre ans, on a transmis pour la première fois 100 térabits par seconde dans une seule fibre optique. Ce que l'on pensait théoriquement réalisable mais pratiquement impossible il y a dix ans a donc été atteint et même dépassé depuis.

Qu'est-ce que j'en vois en tant qu'utilisateur privé ?
Revenez 15 ans en arrière par la pensée. Avec un peu de chance, vous pouviez alors recevoir 128 kilobits par seconde sur votre ordinateur de bureau. Aujourd'hui, avec une connexion en fibre optique, vous pouvez avoir un gigabit par seconde. En l'espace de 15 ans, l'utilisateur privé dispose donc de près de 10000 fois plus de bande passante. Imaginez cela dans un autre domaine : Dites à votre constructeur automobile qu'il doit rendre votre voiture 10000 fois plus rapide ou 10000 fois plus efficace sur le plan énergétique.

Et sur quoi travaillez-vous aujourd'hui ?
Dans la technologie de communication, les signaux sont d'abord électriques. Pour la communication optique, nous devons convertir le signal électrique en un signal laser optique. Pour cela, nous avons besoin de ce que l'on appelle des modulateurs, qui convertissent un signal électrique en un signal optique. Les modulateurs standard utilisés dans les télécommunications optiques mesurent environ dix centimètres de long et deux centimètres de large. Ils traitent jusqu'à 40 gigabits par seconde et consomment cinq picojoules d'énergie par bit codé. Cela semble peu d'énergie, mais si vous le faites 40 milliards de fois par seconde, ce n'est plus si peu, surtout si vous utilisez jusqu'à mille de ces modulateurs dans une pièce. Nous avons développé de nouveaux modulateurs et les avons réduits à un millimètre ou moins. Ils sont en outre beaucoup plus rapides et ne consomment qu'une fraction de l'énergie.

Comment avez-vous réussi à rendre les modulateurs si petits, si puissants et si efficaces sur le plan énergétique ?
Nous ne travaillons plus avec la lumière, mais avec des plasmons. L'information n'existe plus que dans la fibre optique sous forme de signal lumineux. Dès que le signal arrive sur la puce, nous le convertissons en plasmon. Le plasmon est une oscillation d'électrons, mais qui oscille à la fréquence de la lumière optique. Ces plasmons sont beaucoup plus faciles à manipuler, car il s'agit d'électrons et non de photons. Les plasmons sont alors commutés et, une fraction de picoseconde plus tard, ils sont à nouveau convertis en un signal lumineux et acheminés dans la fibre optique, mais désormais pourvus d'informations.

Quels sont les avantages de cette miniaturisation ?
Nous pouvons maintenant imaginer mettre l'optique et l'électronique sur la même puce. Jusqu'à présent, cela n'était pas possible en raison des différences de taille. D'une manière générale, les composants de la communication optique à haute performance sont encore comparativement trop grands. Un transmetteur térabit, par exemple, nécessite beaucoup de place. Si 1000 d'entre eux devaient être placés dans un centre de commutation central, il faudrait une maison entière. La consommation d'énergie ne serait pas non plus ma?trisée avec tous les composants supplémentaires. C'est pourquoi la miniaturisation est un must.

Le trafic de données se déplace de plus en plus vers la communication mobile. Que propose votre recherche dans ce domaine ?
Les grandes quantités de données que le client exigera à l'avenir nécessiteront également de nouvelles approches dans la communication mobile. Les technologies optiques sont particulièrement bien adaptées aux débits élevés. Dans le domaine de la communication mobile, nous ne serons bient?t plus confrontés aux micro-ondes habituelles, mais à des ondes qui oscillent 100 à 1000 fois plus vite. Nous parlons de l'ère de la technologie terahertz. Dans ce domaine, nous voulons en tout cas être à la pointe.

Vue agrandie : Modulateurs pour la conversion de signaux électriques en signaux lumineux.
Jürg Leuthold et son équipe développent de nouveaux modulateurs pour convertir les signaux électriques en signaux lumineux. Les modulateurs traditionnels mesurent 10 centimètres et codent 40 gigabits par seconde. La nouvelle génération de modulateurs du groupe de Leutold est encore petite de quelques micromètres et pourtant extrêmement performante et efficace sur le plan énergétique. (Photo : Antal Thoma)
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