"La balle est dans le camp de l'entreprise D-Wave".

Google et le groupe d'armement américain Lockheed Martin ont payé plus de dix millions de dollars pour un ordinateur quantique dont on ne sait pas ce qu'il peut faire. Une équipe dirigée par le professeur de l'ETH Matthias Troyer s'est penchée sur la manière de tester correctement de tels appareils, ce qui a provoqué des remous.

Vue agrandie : troyer
Le professeur Matthias Troyer a déclenché un écho mondial avec son étude du calculateur quantique D-Wave. (Image : ETH Zurich)

La préimpression du travail de Matthias Troyer et de ses co-auteurs sur le serveur de documents arXiv a fait l'objet d'intenses discussions dans les milieux spécialisés, a fait les gros titres de la presse et a suscité de vives critiques de la part de l'entreprise canadienne D-Wave, plusieurs mois avant que le magazine scientifique "Science" ne publie maintenant le papier en ligne. Le groupe international de chercheurs a testé le calculateur quantique acheté par Google à D-Wave et a constaté qu'il n'était pas plus rapide qu'un ordinateur traditionnel (Actualités ETH rapporté).

Actualités ETH : Monsieur Troyer, la société D-Wave vous reproche d'avoir effectué les mauvais tests. Une critique justifiée ?
Matthias Troyer : Il s'agissait des mêmes tests que l'entreprise elle-même a effectués par le passé pour montrer que sa machine est bien meilleure qu'un ordinateur classique. Nous avons choisi des problèmes de test qui correspondent parfaitement au matériel de la machine. Ce faisant, nous n'avons pas vu de soi-disant "speedup". Mais cela peut aussi être d? au fait que dans ces tests, une machine quantique n'est pas meilleure du tout.

D-Wave affirme que sa machine est construite pour des applications plus difficiles. Avez-vous confié des t?ches trop simples à la machine quantique ?
Nous avons choisi des problèmes de test difficiles mais aléatoires, qui ne proviennent pas directement d'applications. En effet, la machine ne peut actuellement pas du tout résoudre de problèmes d'application difficiles. Cela est d? à sa taille et au couplage des "bits quantiques" qui composent l'appareil. Les 512 bits quantiques de la machine testée ne sont couplés qu'aux bits quantiques qui se trouvent à proximité. Or, pour la plupart des problèmes d'application, il faut beaucoup plus de bits quantiques et, idéalement, des couplages entre n'importe quels bits quantiques. La balle est maintenant dans le camp de l'entreprise D-Wave. Si elle prétend que nous avons fait les mauvais tests, elle doit montrer que la machine peut effectivement résoudre des problèmes difficiles mieux qu'un ordinateur classique. Notre travail montre comment il faut réaliser de tels tests pour faire des déclarations fiables.

Pourquoi des entreprises comme Lockheed Martin et Google dépensent-elles plus de dix millions de dollars pour un appareil dont on ne sait pas s'il apportera un avantage ?
Ce n'est étonnant qu'à première vue. Certaines entreprises dépensent plusieurs millions de dollars par jour pour résoudre des problèmes d'optimisation. On rencontre par exemple de telles questions lors de la planification d'une route aérienne ou de l'amélioration d'un portefeuille. C'est précisément pour cela que D-Wave a été construit. La machine a éventuellement le potentiel de résoudre ce type de problèmes plus rapidement qu'un ordinateur traditionnel. On peut comparer cela à un paysage de montagne dans lequel on veut trouver la vallée la plus profonde. Si l'on fait cela avec une machine classique, il faut escalader les montagnes pour trouver une nouvelle vallée. Avec une machine quantique, on peut creuser un tunnel sous la montagne. La question est de savoir si le passage sous le tunnel est plus rapide que l'escalade. Si les montagnes sont étroites et hautes, cela peut aider. Toutefois, personne ne sait à quoi ressemble ce paysage en cas de véritables problèmes d'application.

Investiriez-vous dans D-Wave ?
Si j'étais le représentant d'une grande entreprise qui doit résoudre de très nombreux problèmes d'optimisation, je dirais : on peut faire cet investissement à haut risque. Mais personne ne sait encore si cela sera rentable, car il y a encore quelques obstacles à franchir.

Le fabricant vante sa machine comme étant le premier ordinateur quantique au monde à pouvoir être acheté. Au début, les critiques ont considéré qu'il s'agissait d'une affirmation absurde. Le vent a-t-il tourné entre-temps ?
Au début, les experts étaient sceptiques. Maintenant, la question n'est plus de savoir si c'est de l'humour ou non. Les tests effectués chez Lockheed Martin et Google ont montré que les machines fonctionnent et qu'elles utilisent également la mécanique quantique. C'est une performance. Mais la mécanique quantique peut-elle réellement aider à résoudre des problèmes d'optimisation ? C'est maintenant la question passionnante et ouverte.

Peut-on vraiment qualifier D-Wave d'ordinateur quantique ?
C'est plut?t une expérience de physique, un prototype qui résout des problèmes spéciaux avec un peu de mécanique quantique. L'appareil n'est pas un ordinateur quantique universel qui peut tout faire, mais en tant qu'appareil spécial, on peut l'appeler ordinateur quantique - de la même manière que les commandes d'une voiture, d'un grille-pain ou d'un réfrigérateur, par exemple, sont des ordinateurs qui ne résolvent qu'un problème spécifique.

Pourquoi s'intéresser à D-Wave ?
Cette machine existe et personne ne sait ce qu'elle fait ni ce que cette technologie peut faire. Au lieu de spéculer pour savoir si elle fonctionne, on peut la tester. Toutefois, ce n'est pas facile. Notre article montre comment tester correctement et proprement si un appareil quantique est effectivement plus performant. Nous indiquons les points auxquels il faut faire attention et les pièges qui peuvent se cacher. Par exemple, les ondes D sont des machines analogiques. Cela implique que pour résoudre des problèmes plus importants, il faut aussi plus de matériel, donc plus de bits quantiques. Si l'on compare deux appareils différents, leur matériel doit également être de taille comparable. Pour un problème plus important, il faut donc accorder plus de matériel à un ordinateur classique.

Avec D-Wave, une entreprise privée a mis sur le marché le premier ordinateur quantique. Pourquoi les scientifiques qui travaillent depuis longtemps dans ce domaine dans des laboratoires de recherche financés par l'?tat n'y sont-ils pas parvenus jusqu'à présent ?
Pour construire cette machine, l'entreprise a eu besoin de plus de 100 millions de dollars. Un groupe de recherche académique ne peut pas trouver cet argent. Lorsque nous rédigeons des propositions de recherche, nous devons avoir des projets dont le succès peut être mieux évalué et qui ne comportent pas un risque aussi élevé. D-Wave a construit cet appareil, même si l'issue du projet est incertaine. En tant que chercheur, on ne prendrait pas ce risque. Mais si ?a marche, les conséquences seront énormes. Ce serait une avancée majeure.

A propos de la personne

Matthias Troyer est professeur ordinaire de physique computationnelle à l'Institut de physique théorique de l'ETH Zurich depuis 2005. Ses intérêts de recherche se concentrent sur le développement de nouveaux algorithmes de simulation pour les systèmes quantiques et sur la simulation numérique des transitions de phase quantiques, des systèmes fermioniques fortement corrélés, des gaz atomiques ultrafroids et des ordinateurs quantiques.

Référence bibliographique

R?nnow TF, Troyer M, Wang Z, Job J, Boixo S, Isakov SJ, Wecker D, Martinis JM : Defining and detecting quantum speedup, Science, 20 juin 2014, doi : page externe10.1126/science.1252319

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