Les calculateurs quantiques au banc d'essai

Une machine à calculer d'un nouveau genre fait sensation dans le monde des spécialistes. S'agit-il du premier ordinateur quantique disponible à la vente ? Une équipe dirigée par le professeur de l'ETH Matthias Troyer confirme désormais que la machine utilise des effets quantiques. Mais elle n'est pas plus rapide qu'un ordinateur traditionnel.

Vue agrandie : D-Wave
Est-ce le premier ordinateur quantique disponible à la vente ? Sur la photo, la version actuelle de 512 qubits de D-Wave. (Image : Courtesy of D-Wave Systems Inc.)

D-Wave - une machine à calculer spéciale portant ce nom fait parler d'elle depuis quelques années parmi les informaticiens et les physiciens. Le fabricant canadien du même nom fait la candidature de cette machine en tant qu'ordinateur quantique. La question de savoir si la machine utilise effectivement les effets quantiques fait toutefois l'objet d'un débat controversé parmi les spécialistes. Si c'était le cas, D-Wave serait probablement le premier ordinateur quantique disponible dans le commerce.

L'entreprise a vendu son système à d'illustres clients, ce qui n'a fait qu'alimenter l'intérêt de la communauté scientifique, des blogueurs et des journalistes. Ainsi, en 2011, la toute première machine est allée au groupe d'armement américain Lockheed Martin, qui l'a mise à disposition de l'Université de Californie du Sud à Los Angeles pour des tests. L'année dernière, Google en a acheté un deuxième exemplaire. D-Wave peut résoudre certains problèmes mathématiques, dits d'optimisation, en cherchant et en trouvant dans un système l'état d'énergie le plus profond. C'est pourquoi cette technologie est intéressante pour ces entreprises.

Un appareil analogique, pas un ordinateur quantique

Mais la controverse sur D-Wave ne porte pas seulement sur la question de savoir si la machine utilise effectivement des effets quantiques. Des scientifiques et des blogs ont également exprimé des doutes sur le fait que la machine puisse être qualifiée à juste titre d'ordinateur. En outre, la question de savoir si elle calcule plus vite qu'un ordinateur traditionnel est controversée. Matthias Troyer, professeur à l'Institut de physique théorique de l'ETH Zurich, s'est penché sur ces questions avec des collègues de l'University of Southern California à Los Angeles et a testé le système sur place.

Dans leur étude désormais publiée dans la revue spécialisée Nature Physics, l'équipe de chercheurs américano-suisse tire une conclusion nuancée. Certes, les scientifiques confirment que la D-Wave utilise effectivement les effets quantiques. Mais sur d'autres points, les chercheurs sont plus critiques : "D-Wave est un appareil analogique, un prototype avec lequel on peut résoudre des problèmes d'optimisation. On pourrait le qualifier plus justement d'expérience de simulation quantique programmable", explique Troyer, qui est considéré comme un expert international dans ce domaine. "D-Wave n'est certainement pas un ordinateur quantique universel".

Des effets quantiques, mais seulement à court terme

Les chercheurs sont parvenus à leurs conclusions en écrivant mille t?ches de calcul de différentes complexités et en les résolvant mille fois chacune sur trois systèmes : une fois sur D-Wave et deux fois sur un programme de simulation de problèmes d'optimisation fonctionnant sur un ordinateur classique. Le programme de simulation fonctionnait en deux modes : une fois en tenant compte des effets quantiques et une fois sans. Pour chaque t?che, les scientifiques ont noté le nombre de fois où chaque système a fourni la bonne solution. Il s'est avéré que D-Wave se comportait de la même manière que la simulation prenant en compte les effets quantiques, mais différemment de la simulation ne prenant pas en compte les effets quantiques.

Ce résultat a étonné les scientifiques, car les effets quantiques des ondes D sont extrêmement brefs et ne durent que quelques milliardièmes de seconde. Les physiciens appellent cela le temps de cohérence. Comme il faut en principe environ 500 fois plus de temps pour résoudre un problème d'optimisation, la majorité des experts sont partis du principe que les effets quantiques ne pouvaient tout simplement pas jouer un r?le dans le cas des ondes D. Ils le font pourtant, comme le concluent les chercheurs sur la base de leurs résultats. "Manifestement, les effets quantiques ne doivent pas nécessairement être cohérents tout le temps pour avoir une signification", explique Troyer.

Pas plus rapide qu'un ordinateur classique

Si l'on considère que les ordinateurs quantiques sont avant tout étudiés parce qu'on en attend une augmentation massive de la vitesse de calcul, une autre conclusion des chercheurs pèse particulièrement lourd : les ondes D ne sont pas plus rapides qu'un ordinateur traditionnel.

La vitesse des ondes D fait l'objet d'intenses discussions dans les milieux spécialisés, surtout depuis qu'une publication d'une informaticienne de l'Amherst College a fait sensation en mai de l'année dernière. Selon cette publication, D-Wave est, selon la t?che de calcul, plusieurs milliers de fois plus rapide qu'un ordinateur classique. La chercheuse a étudié une version de D-Wave qui correspond presque à la version actuelle, existant depuis un an, avec une capacité de calcul de 512 bits quantiques (qubits). L'étude des chercheurs de l'ETH, en revanche, se base sur la version précédente avec 108 qubits.

"Nous n'avons pas seulement démontré qu'un ordinateur classique est plus rapide que la version 108 bits de D-Wave", explique Troyer à ce sujet. "Mais nous avons également résolu sur un ordinateur classique les mêmes problèmes que ceux que peuvent résoudre la nouvelle version 512 qubits ou d'hypothétiques machines encore plus puissantes". Si l'on compare ces résultats avec ceux de la chercheuse de l'Amherst College, il est clair que pour les tests effectués, D-Wave est toujours plus lent qu'un ordinateur classique. Selon Troyer, le problème de l'étude d'Amherst est qu'elle a comparé des algorithmes rapides pour D-Wave avec des algorithmes plus lents pour des ordinateurs classiques. "Nous avons développé des algorithmes optimisés pour les ordinateurs classiques. Cela nous permet de battre D-Wave même dans sa version actuelle de 512 qubits", explique Troyer. "Pour l'instant, personne ne sait si un futur système quantique comme D-Wave avec plus de qubits apportera des avantages par rapport aux systèmes classiques. C'est une question importante que nous étudions actuellement avec des expériences sur la machine de 512 qubits".

Annelage quantique avec D-Wave

Une structure cristalline imparfaite de métaux ou de verre peut être améliorée en portant le matériau à incandescence, puis en le refroidissant de manière contr?lée. Dans le matériau chaud, les atomes ont une certaine liberté de mouvement, ce qui leur permet de se réorganiser en un réseau cristallin plus parfait. Cette technique artisanale est vieille de plusieurs millénaires et est appelée en allemand "Ausheizen", en anglais "Annealing". Depuis 30 ans, une méthode comparable est également utilisée en informatique comme procédé d'optimisation. Elle est également appelée "annealing".

Une question typique à laquelle cette méthode permet de répondre est celle du point le plus bas d'un paysage. Pour illustrer cela, on peut imaginer une expérience de pensée dans laquelle une sphère se trouve dans un paysage et à laquelle on donne des chocs en fonction de la température. Lorsque la température est élevée, la boule peut rebondir dans tout le paysage, mais plus la température est basse, plus la boule a du mal à franchir les montagnes. Si l'on répète plusieurs fois une expérience en commen?ant à des températures élevées et en refroidissant lentement, la boule se retrouvera à la fin des essais au point le plus bas du paysage.

Lorsque le système D-Wave résout un problème d'optimisation, il procède selon une procédure similaire, avec en plus l'intervention de la physique quantique et donc des effets de tunnel : La sphère - pour rester dans l'exemple - est également capable de passer sous les montagnes du paysage. Dans le cas des ondes D, ce ne sont toutefois pas des sphères qui se déplacent. Ce sont plut?t des circuits supraconducteurs individuels qui agissent comme des simulateurs quantiques ou des atomes artificiels. Pour cela, le système doit être refroidi à des températures proches du zéro absolu. Les circuits simulent le spin des atomes. Il existe le spin "haut" et le spin "bas" ainsi que - parce que la physique quantique joue un r?le - une superposition des spins, l'état "à la fois haut et bas". Dans les circuits de D-Wave, les spins sont simulés par le sens de circulation du courant. Les physiciens appellent le processus d'optimisation de D-Wave l'annelage quantique.

Référence bibliographique

Boixo S, R?nnow TF, Isakov SV, Wang Z, Wecker D, Lidar DA, Martinis JM, Troyer M : Evidence for quantum annealing with more than one hundred qubits. Nature Physics, 2014, 10 : 218-224, doi : page externe10.1038/nphys2900

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