La Suisse doit mieux exploiter son potentiel d'innovation.

Photo portrait de Thomas Zurbuchen

Il existe en Suisse un grand potentiel d'innovation technologique et entrepreneuriale. Pour Thomas Zurbuchen, la question est de savoir comment nous pouvons créer ensemble une dynamique, même en période difficile, afin de continuer à nous imposer face à la concurrence internationale.

Chaque fois que je donne une conférence sur l'innovation en Suisse, je commence par une image de l'Eiger, du M?nch et de la Jungfrau. Je raconte à chaque fois l'histoire d'Adolf Guyer-Zeller - pour moi, l'une des histoires les plus impressionnantes d'ambition entrepreneuriale et d'échec dans la Suisse du 19e siècle.

Les montagnes suisses Eiger, M?nch et Jungfrau dans la lueur rouge?tre du soleil
Eiger, M?nch et Jungfrau. (Image : AdobeStock / Maja)

Guyer-Zeller, qui a connu la prospérité gr?ce à une filature de coton et au commerce de textiles, s'est fixé l'objectif audacieux de construire un chemin de fer jusqu'au sommet de la Jungfrau. Il n'a fallu que trois ans pour que le conseiller fédéral lui accorde la concession nécessaire. Il n'a certes pas atteint son objectif initial de construire un chemin de fer jusqu'au sommet de la Jungfrau, et lors de l'inauguration solennelle du chemin de fer du Jungfraujoch en 1912, Guyer-Zeller était mort depuis longtemps. Il n'en a pas moins été à l'origine d'une prouesse technique de construction, et le "Top of Europe" est devenu un phare visible du tourisme suisse et de l'inventivité.

Encourager les performances pionnières, ne pas les rendre plus difficiles

Je me souviens très bien du voyage en train de Zurich à Interlaken, après mon retour en Suisse après des décennies passées aux ?tats-Unis. Dans le train, deux personnes sympathiques m'ont reconnu et ont tenté de me convaincre, au cours d'une conversation, qu'il était impossible de faire de grandes choses innovantes dans ce pays. "Nous sommes conservateurs", "l'échec n'est pas une option ici", tels étaient leurs arguments.

Disons-le tout de suite : Ils n'ont pas réussi à me convaincre, et lorsque nous sommes arrivés à Interlaken, je leur ai demandé de regarder en direction du Jungfraujoch. "Cela aussi, c'est une innovation suisse", leur ai-je dit.

Vue agrandie : ancienne image en noir et blanc des montagnes montrant le projet de construction prévu.
"Vue d'ensemble" du projet ferroviaire qui, selon Adolf Guyer-Zeller, devait s'étendre de la Petite Scheidegg jusqu'au sommet de la Jungfrau en passant par l'Eiger et le M?nch - il a été réalisé jusqu'au Jungfraujoch (station M?nch). (Illustration : Die Gartenlaube, 1895)

La Suisse est un pays extrêmement prospère pour plusieurs raisons. Si nous nous portons si bien aujourd'hui, nous le devons aussi au courage et à la clairvoyance de ceux qui nous ont précédés. Des personnalités comme Adolf Guyer-Zeller, les Escher (Caspar et Alfred), Henri Nestlé, Fritz Hoffmann-La Roche, Walter Boveri ou Marie Heim-V?gtlin représentent les innovations économiques et le progrès social de la Suisse moderne.

Et des milliers d'autres qui, même sans entrer dans les livres d'histoire et en prenant d'énormes risques personnels, ont contribué jusqu'à aujourd'hui à créer des places de travail et des revenus pour de nombreuses personnes. Pour continuer à saisir les opportunités à l'avenir, nous devrions encourager les activités pionnières et non les rendre plus difficiles.

Depuis mon retour en Suisse, j'ai visité des dizaines d'entreprises. J'ai parlé à des entrepreneurs impressionnants, de tous ?ges et dans de nombreux secteurs - ils sont aussi bons, voire meilleurs, que de nombreux dirigeants que je connais aux ?tats-Unis et au-delà. Cela est également d? à notre excellent système éducatif suisse, qui offre aux jeunes un large éventail de possibilités de développement, de l'apprentissage professionnel au doctorat à l'ETH et dans d'autres universités suisses.

"Un ralentissement excessif d? à des obstacles bureaucratiques étatiques ou internes est un poison pour la réussite entrepreneuriale".
Thomas Zurbuchen

Je suis convaincu que des talents compétents et bien formés sont l'un des piliers de l'innovation future. Des innovations dont nous avons un besoin urgent face aux changements globaux tels que le changement climatique, que ce soit dans la construction, les transports ou l'agriculture. Car les personnes innovantes savent que le changement est toujours une chance.

Quelques mois passés en Suisse m'ont encore renforcé dans ma conviction de l'énorme potentiel d'innovation dans notre pays, qui est décisif pour les space tech, les deep tech, les green tech, la robotique, les systèmes intelligents et bien d'autres domaines.

Trois priorités

Cependant, pour que nous puissions exploiter ce potentiel, en particulier en période de difficultés financières, nous devrions nous concentrer sur trois priorités qui revêtent une grande importance à long terme.

Premièrement, nous ne devons pas permettre, malgré les contraintes de la politique financière, que soient affaiblis les acteurs qui produisent précisément les personnes innovantes que nous voulons encourager. Il est bien s?r opportun que les politiques attendent des universités, des établissements de formation et des instituts de recherche du pays qu'ils orientent leur recherche et leur formation vers la prospérité de la Suisse, en accordant une place importante à l'innovation. Les universités, tout comme les autorités publiques et les entreprises, courent en outre le risque, à mesure que la croissance s'accélère, de se transformer en bureaucraties inextricables et de perdre leur focalisation sur l'excellence et l'impact de leurs activités.

Les organisations du savoir financées par l'?tat, comme les hautes écoles, doivent sans cesse se demander dans quelle mesure elles agissent au service de la société et contribuent à aider la Suisse et le monde à relever les grands défis de manière active, efficace et efficiente. Mais les priver des moyens financiers nécessaires à l'accomplissement de ces t?ches affaiblit la Suisse à long terme, précisément là où réside aujourd'hui l'un de ses principaux atouts en comparaison internationale.

Deuxièmement, les organismes publics devraient se donner pour mission, en collaboration avec le secteur privé, d'encourager le transfert effectif des idées issues de la recherche vers des produits commercialisables ainsi que la croissance des jeunes entreprises en Suisse. Notre pays, comme me l'a dit un célèbre innovateur, sera à la pointe lorsque nous serons soit plus intelligents, soit plus agiles, soit les deux.

Nous devrions en même temps vérifier et optimiser en permanence nos processus et procédures au sein de l'administration et des entreprises - un ralentissement excessif d? à des obstacles bureaucratiques étatiques ou internes est un poison pour la réussite entrepreneuriale d'aujourd'hui et de demain.

Ce qu'il faut également éviter, c'est que nous formions des talents ainsi que de jeunes entrepreneurs, et ce à grands renforts d'argent et d'efforts. Et ensuite, en raison de meilleures opportunités, ils partent à l'étranger pour y favoriser la création de valeur. Des technologies importantes de Google, dont nous avons besoin aujourd'hui au quotidien, ont été développées en Suisse, mais vendues très t?t parce que les entreprises ne pouvaient pas se développer suffisamment ici. Le même danger menace certaines des entreprises de robotique et de drones les plus intéressantes au monde, qui sont actuellement créées et se développent dans notre pays.

En Suisse, il existe de formidables promoteurs de l'entrepreneuriat qui possèdent une énorme expérience dans la création et la croissance d'entreprises. La question qui se pose est la suivante : comment pouvons-nous, ensemble, en tant qu'équipe, créer une dynamique qui nous permette de surpasser la concurrence internationale non seulement en matière de création, mais aussi de croissance des entreprises ?

"Ceux qui pensent et agissent avant les autres ont un avantage. Nous devrions profiter de cet avantage".
Thomas Zurbuchen

Troisièmement, je souhaite que nous valorisions un peu plus l'innovation et les esprits novateurs en Suisse, que nous entretenions le souvenir de pionniers comme Adolf Guyer-Zeller, mentionné au début de cet article, et que nous ne nous fassions pas plus petits que nécessaire : nous avons un énorme potentiel que nous pouvons encore exploiter. Nous pouvons faire davantage pour que les pionniers aient encore plus de succès en Suisse, ne serait-ce qu'en évitant de commenter chaque échec avec malice dans les médias et en nous réjouissant plut?t de la réussite d'un entrepreneur ou d'une entrepreneuse.

L'excellence suisse est reconnue dans le monde entier. Le changement technologique est en cours. Ceux qui pensent et agissent avant les autres ont un avantage. Nous devrions profiter de cet avantage.

Ce texte a d'abord été publié comme article d'opinion dans le c?té externeNZZ du 17.02.2024.

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