Pièges quantiques ajustables pour excitons

Des chercheurs de l'ETH Zurich ont réussi pour la première fois à capturer des excitons - des quasi-particules composées d'électrons chargés négativement et de défauts chargés positivement - dans un matériau semi-conducteur avec des champs électriques contr?lables. Cette nouvelle technique est importante à la fois pour la fabrication de sources de photons uniques et pour la recherche fondamentale.

Visualisation du piège électrique
Un faisceau laser (orange) produit des excitons (violet) qui sont piégés par des champs électriques dans le matériau semi-conducteur. (Image : Puneet Murthy / ETH Zurich)

Dans les matériaux semi-conducteurs, le courant peut être conduit aussi bien par des électrons que par des trous chargés positivement, c'est-à-dire des électrons manquants. L'incidence de la lumière peut en outre faire passer les électrons dans une bande d'énergie supérieure, laissant un trou dans la bande initiale. L'électron et le trou deviennent alors, par attraction électrostatique, ce que l'on appelle un exciton, une quasi-particule qui se comporte globalement comme une particule neutre. En raison de leur neutralité électrique, il était jusqu'à présent difficile de fixer les excitons à un endroit précis d'un matériau.

Une équipe de scientifiques réunie autour d'Ata? Imamo?lu, professeur au Département de physique, de Puneet Murthy, postdoctorant dans son groupe, et de David Norris, professeur au Département de génie mécanique et des procédés de l'ETH Zurich, est parvenue pour la première fois à capturer des excitons dans un espace réduit à l'aide de champs électriques contr?lables et à démontrer la quantification de leur mouvement. Les chercheurs espèrent que ces résultats, qui viennent d'être publiés dans la revue spécialisée Nature, permettront de progresser dans les applications des technologies optiques et de mieux comprendre les phénomènes physiques fondamentaux.

Une interface importante

"Les excitons jouent un r?le important à l'interface entre les semi-conducteurs et la lumière", explique Murthy. Ils sont notamment utilisés dans les capteurs de lumière, les cellules solaires ou encore les nouvelles sources de photons uniques pour les technologies quantiques. Les capturer de manière contr?lée est un objectif ambitieux de la recherche sur les solides depuis de nombreuses années.

Vue agrandie : graphique de l'origine du piège électrique
? gauche : En appliquant une tension aux électrodes supérieure et inférieure, des trous (bleus) et des électrons (rouges) s'accumulent dans le semi-conducteur. Un champ électrique se forme entre ces zones, gr?ce auquel les excitons (bleu/rouge) peuvent être polarisés et capturés. droite : Dans le "piège" qui en résulte, les excitons sont attirés vers le minimum d'énergie. (Graphique : Puneet Murthy / ETH Zurich)

Les physiciens de l'ETH fabriquent leurs pièges à excitons en pla?ant une fine couche de matériau semi-conducteur, le diséléniure de molybdène, entre deux isolants et en ajoutant une électrode en haut et en bas (voir graphique). L'électrode supérieure ne recouvre qu'une partie du matériau. Ainsi, lorsqu'une tension est appliquée, un champ électrique se forme dont l'intensité dépend de la position dans le matériau. Cela a pour conséquence que des trous chargés positivement s'accumulent dans le semi-conducteur juste en dessous de l'électrode supérieure, tandis que des électrons chargés négativement s'accumulent ailleurs. Un champ électrique se crée donc également entre ces deux zones dans le plan du matériau semi-conducteur.

Quantification du mouvement des excitons

"Ce champ électrique, qui varie fortement sur une courte distance, peut piéger très efficacement les excitons dans le matériau", explique Deepankur Thureja, doctorant et premier auteur de l'étude, qui a réalisé les expériences avec Murthy. Bien que les excitons soient électriquement neutres, ils peuvent être polarisés par des champs électriques. Cela signifie que l'électron et le trou de l'exciton sont légèrement plus éloignés l'un de l'autre. Il en résulte un champ électrique dipolaire qui interagit avec le champ extérieur et exerce ainsi une force sur l'exciton.

Pour démontrer expérimentalement que ce principe fonctionne réellement, les chercheurs ont fait tomber une lumière laser de différentes longueurs d'onde sur le matériau et ont mesuré à chaque fois la réflexion de la lumière. Ils ont alors observé une série de résonances, c'est-à-dire des longueurs d'onde pour lesquelles la lumière était réfléchie plus fortement que prévu. Ces résonances pouvaient en outre être ajustées en modifiant la tension appliquée aux électrodes. "C'était pour nous un signe clair que les champs électriques créent un piège pour les excitons et que le mouvement des excitons y est quantifié", explique Thureja. Quantifié signifie que les excitons ne peuvent prendre que des états d'énergie très spécifiques, comme par exemple les électrons dans un atome. En se basant sur les positions des résonances, Imamo?lu et ses collaborateurs ont pu conclure que le piège à excitons généré par les champs électriques mesurait moins de dix nanomètres.

Applications dans le traitement de l'information quantique

De tels excitons fortement piégés sont extrêmement importants, tant pour les applications pratiques que pour les questions fondamentales, explique Murthy : "Les pièges à excitons contr?lables électriquement étaient jusqu'à présent un cha?non manquant". Il est désormais possible pour les physiciens, par exemple, d'aligner de nombreux excitons piégés de ce type et de les ajuster de manière à ce qu'ils émettent des photons ayant exactement les mêmes propriétés. "On pourrait ainsi fabriquer des sources identiques de photons uniques pour le traitement quantique de l'information", explique Murthy. Et Imamo?lu d'ajouter : "Ces pièges ouvrent également de nouvelles perspectives pour la recherche fondamentale. Ils nous permettront notamment d'étudier les états de non-équilibre des excitons à forte interaction. "

Référence bibliographique

Thureja D et al. Electrically tunable quantum confinement of neutral excitons. Nature, publié en ligne le 25 mai 2022 ; doi : page externe10.1038/s41586-022-04634-z

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