En conversation avec le "Einstein numérique".

Alors que le président de l'ETH Joel Mesot s'enfonce dans le fauteuil adossé du plus grand amphithé?tre de l'ETH, un invité inattendu est assis en face de lui. Sa moustache et ses cheveux ébouriffés font de lui l'une des personnalités les plus connues du XXe siècle. Mais on ne l'a encore jamais vu comme il l'a fait lors de la remise du Prix R?ssler de cette année : un personnage numérique qui pose des questions, gesticule et affirme sans détour à Mesot qu'il ne pourrait pas s'imaginer pire job que celui de président. Il s'agit de nul autre qu'Albert Einstein.

1921 marque l'année où Albert Einstein a re?u le prix Nobel "pour ses mérites dans le domaine de la physique théorique, en particulier pour sa découverte de la loi de l'effet photoélectrique". C'est finalement à l'occasion du centenaire de son prix Nobel qu'est née l'idée de redonner vie au plus célèbre des anciens élèves de l'ETH sous forme numérique.

Des chercheurs autour du professeur d'informatique Markus Gross, en collaboration avec le spin-off de l'ETH Animatico (page externehttps://animati.co/), ont développé, sur mandat du président de l'ETH Jo?l Mesot, une plateforme interactive dans laquelle Einstein, en tant que "digital twin", raconte ses années à Zurich. Cette plateforme est une nouvelle pièce du puzzle dans la stratégie de la haute école visant à renforcer le dialogue avec la société et, surtout, à rapprocher la science de la jeune génération par le biais de la fascination d'Einstein. La plate-forme peut être visitée à différents endroits de l'ETH (voir encadré 1) et est con?ue de manière à pouvoir être utilisée également lors de présentations de l'ETH en Suisse et à l'étranger.

L'art et la haute technologie combinés

Le jumeau numérique est aussi communicatif que l'était son original. "Un personnage numérique comme Einstein, qui peut voir, entendre et interagir avec son vis-à-vis, est animé par un système algorithmique complexe", explique Christian Schüller, l'un des trois fondateurs d'Animatico. La visualisation dynamique du personnage et le traitement de la parole sont des technologies clés. Pour la modélisation artistique en 3D, on a délibérément opté pour un Einstein plus jeune, qui correspond à son époque à Zurich.

L'écran et le fauteuil confortable, parties visibles de la plateforme, sont bourrés de technologie : pour qu'Einstein reconnaisse des interlocuteurs potentiels et puisse leur poser des questions, une petite caméra scanne les mouvements et les réactions. Dès que l'interlocuteur commence à parler, des microphones filtrent sa voix parmi les bruits environnants. Ce qui est dit est ensuite transformé en texte et analysé par un logiciel de traitement linguistique. Gr?ce à l'apprentissage automatique, celui-ci reconna?t l'intention de ce qui est dit, à la suite de quoi un algorithme de dialogue calcule la réponse la plus appropriée ainsi que les mimiques et les gestes dans l'univers prédéfini de toutes les réactions possibles.

Les réactions intuitives, une caractéristique unique

Les réponses font partie d'un arbre de dialogues défini qui englobe différents thèmes comme les célèbres théories d'Einstein, sa période d'étudiant jusqu'à ses amitiés personnelles. Les dialogues ont été écrits par l'artiste et comédien suisse Karpi (page externehttp://karpi.squarespace.com/), qui a finalement prêté sa voix à Einstein numérique. Pour obtenir une synchronisation optimale entre la voix, les mimiques et les gestes, une technique d'enregistrement spéciale a été utilisée. Un algorithme assure un certain degré de hasard dans les réponses, afin que le dialogue puisse toujours prendre de nouvelles tournures.

Si l'"Einstein numérique" remarque par exemple que son interlocuteur se détourne, il lui demande aussit?t s'il est distrait ou s'il s'ennuie. S'il ne comprend pas quelque chose, il s'excuse et demande à son interlocuteur de répéter la question. "Ces réactions intuitives distinguent les personnages numériques comme Einstein des assistants de questions-réponses courants comme Siri ou Alexa", explique Schüller.

Einstein a encore beaucoup à apprendre

Pouvoir tenir une conversation totalement libre est toutefois encore de la musique d'avenir. C'est principalement Einstein qui dirige la conversation, pose des questions et suggère des thèmes que l'utilisateur peut approfondir avec ses réponses. Selon Schüller, un défi particulier réside dans le fait que les données audio et vidéo doivent être traitées en temps réel afin de permettre des conversations et des interactions fluides. Des temps d'attente et des retards trop longs seraient immédiatement per?us comme gênants et peu naturels.

Actuellement, toutes les réponses et réactions possibles d'Einstein doivent être définies au préalable par les développeurs. Cela permet certes de contr?ler les contenus le long d'axes narratifs prédéfinis, mais limite en même temps le flux de la conversation. "? l'avenir, des conversations plus ouvertes seront certainement possibles", explique le professeur Gross de l'ETH. "Mais pour cela, les personnages numériques comme Einstein doivent avoir accès à une base de connaissances et devenir auto-apprenants. Ils ont également besoin d'une mémoire de travail et d'émotions. Les applications d'apprentissage automatique et de traitement du langage nécessaires à cet effet sont toutefois encore trop peu développées pour le moment".

Les avatars numériques comme domaine de recherche

Les progrès dans le domaine de l'intelligence artificielle et de l'infographie ont favorisé le développement d'avatars et de chatbots dans le monde entier. Les personnages numériques tels qu'Einstein offrent la possibilité de rendre l'interaction entre les humains et les machines plus intuitive et plus accessible aux personnes moins expérimentées sur le plan technique ou souffrant de limitations. Les domaines d'application possibles sont nombreux. Les personnages animés peuvent par exemple être utilisés pour l'achat de billets, l'enregistrement dans un h?tel, le conseil sur les produits, mais aussi comme coachs virtuels dans le domaine de la santé.

L'"Einstein numérique" sera présent à partir du 20 octobre et pendant une semaine sur le campus du H?nggerberg de l'ETH Zurich. Les étudiants, les collaborateurs et les visiteurs de l'ETH auront alors l'occasion de s'entretenir eux-mêmes avec Einstein et d'en apprendre plus sur ses années d'étudiant et de professeur à l'ETH.