?conomiser autrement

Nous n'atteindrons pas la neutralité climatique sans changement structurel, affirment trois économistes. Une esquisse de ce à quoi pourrait ressembler une économie durable.

Catharina Bening, Irmi Seidl, Nicola Blum
Catharina Bening, Irmi Seidl et Nicola Blum (photos : R. Hofstetter, zVg)

Notre système économique est axé sur la croissance. Une condition préalable à cela est que les dommages causés à l'environnement ne co?tent presque rien. Cela favorise la consommation de nature. Or, les ressources sont limitées. "Ce n'est pas viable", affirme Irmi Seidl. Elle est économiste et dirige l'unité de recherche en sciences économiques et sociales à l'Institut fédéral de recherche sur la forêt, la neige et le paysage (WSL). Seidl se penche sur la question de savoir comment concevoir une économie qui serve les hommes et préserve les bases naturelles.

"Notre système actuel ne le fait pas. Il a besoin d'une mise à jour écologique, sinon les crises économiques et les distorsions sociales augmenteront également", est-elle convaincue. Mais depuis des décennies, des secteurs influents s'opposent à une politique environnementale efficace en arguant que cela nuit à la croissance. Selon Seidl, la technologie et le volontariat ne suffiront pas à résoudre les problèmes du changement climatique, de la destruction de la nature et de la disparition des espèces. Elle ne croit pas à la croissance "verte" : "Continuer comme avant avec un vernis vert ne fonctionnera pas", dit Irmi Seidl. Jusqu'à présent, une économie en croissance s'accompagne toujours d'une augmentation de la consommation de ressources et d'énergie, un découplage absolu n'est pas en vue.

Voies vers une économie viable

Pour l'économiste, une chose est claire : un changement structurel écologique global est nécessaire. "Si nous voulons utiliser nos bases vitales de manière responsable, nous devons attribuer une valeur substantielle au capital naturel et nous éloigner de la pensée classique de la croissance", dit-elle.

Seidl voit des leviers pour parvenir à ce changement. "Il est essentiel que nous changions les structures d'incitation qui nuisent à l'environnement", dit-elle. Pour cela, il faudrait d'une part évaluer les ressources naturelles et l'énergie en fonction de leur rareté écologique et, d'autre part, fixer un prix conséquent pour les effets négatifs sur le climat et l'environnement. "La consommation environnementale doit co?ter nettement plus cher", selon Seidl. D'autre part, il s'agit de supprimer ou de réaménager les subventions nuisibles à l'environnement. Le système fiscal suisse comporte également de nombreux avantages par lesquels la politique encourage économiquement des domaines comme l'énergie, l'agriculture, les transports ou l'urbanisation. L'utilisation de pesticides, les déplacements domicile-travail, la consommation de terrain, le mitage du territoire ou la construction sont ainsi soutenus directement ou indirectement.

En outre, Seidl estime qu'il est nécessaire de concevoir des domaines sociaux centraux moins dépendants de la croissance. Elle cite l'exemple des recettes fiscales et des assurances sociales. Les deux sont fortement financés par des taxes sur le travail rémunéré, alors que les imp?ts sur les entreprises diminuent. Cela rend le travail de plus en plus cher, explique l'économiste. Par conséquent, les entreprises remplacent le travail par la technologie. Il faut donc à nouveau de la croissance pour créer du travail rémunéré : Pour cela, il faut notamment attirer de nouvelles entreprises et de nouveaux travailleurs, classer des terrains, construire des routes et des maisons.

Selon Seidl, il s'agit de stopper cette spirale de croissance. Cela nécessite notamment une nouvelle conception du travail, car la croissance est avant tout recherchée pour assurer le travail rémunéré : "La grande importance accordée au travail rémunéré doit diminuer", conclut-elle. Nous serions alors moins actifs, nous produirions et consommerions moins, mais nous profiterions d'un environnement intact, d'une meilleure santé et de plus de temps pour le travail personnel, de milice ou de soins.

Pour mettre l'économie sur une voie compatible avec le climat et l'environnement, il faudrait finalement réorganiser différents secteurs - de l'énergie et des transports à la construction et à l'agriculture, en passant par l'habitat et l'urbanisation. "La reconversion écologique n'est pas facile", dit Seidl, "mais elle est réalisable si on la con?oit de manière socialement équitable et si on la reconna?t comme une t?che qui incombe à l'ensemble de la société". La recherche joue un r?le décisif. Elle devrait développer les matériaux durables, les technologies de production et les solutions d'infrastructure nécessaires à la transformation. "Les innovations pour cela viennent surtout des hautes écoles, pas des entreprises", explique Seidl. Elle considère que les institutions du Domaine des EPF ont un r?le à jouer et rappelle que les EPF ont été créées pour industrialiser la Suisse. "Il s'agit maintenant de moderniser l'écologie - une t?che au moins aussi importante", dit-elle.

Des matériaux en circuit fermé

Cela concerne principalement notre utilisation des ressources. "Environ deux tiers des émissions de gaz à effet de serre dans le monde sont dus à l'extraction et à l'utilisation de matières premières", savent Catharina Bening et Nicola Blum. Elles sont chercheuses principales à la chaire de durabilité et de technologie (SusTec) et dirigent ensemble le domaine de l'économie circulaire.

L'économie circulaire promet de découpler la croissance économique de la consommation de ressources et d'éviter les déchets en faisant circuler les matériaux et les produits dans des flux de matières fermés. Elle est ainsi considérée par beaucoup comme la base d'un développement durable. "L'idée du cycle a sensiblement gagné en acceptation ces dernières années", racontent les deux chercheuses. En collaboration avec des partenaires industriels, elles cherchent des moyens de transformer les processus de production linéaires en cha?nes de création de valeur circulaires.

Elles constatent régulièrement que les praticiens optimisent souvent leurs systèmes de recyclage selon une règle simple : Plus il y a de matière qui circule, mieux c'est. En fait, la plupart des approches se concentrent sur la quantité de matériaux recyclés, mais n'évaluent pas la consommation d'eau ou d'énergie, l'impact climatique ou les conséquences économiques et sociales. "Le simple fait de faire circuler les matériaux n'est pas toujours meilleur pour l'environnement et ne doit pas non plus être rentable financièrement", fait remarquer Blum. Le recyclage du verre usagé en est un exemple : alors que la collecte par la population est incontestablement importante, il se peut que le recyclage en nouvelles bouteilles soit moins avantageux sur le plan écologique, en raison de la consommation d'énergie élevée, que l'utilisation comme matériau d'isolation, qui peut permettre d'économiser du pétrole.

Pour rendre l'idée de cycle plus pertinente, Blum et Bening recommandent d'examiner pour chaque mesure non seulement le flux de matériaux, mais aussi la durabilité dans les trois dimensions que sont l'écologie, l'économie et la société. "On peut ainsi s'assurer qu'un gain écologique est atteint de manière économiquement et socialement pertinente", explique Bening.

Les deux économistes appellent toutefois à la prudence : dans la pratique, cette approche conduit souvent à des conflits d'objectifs. Par exemple, le recyclage du PET en Suisse contribue certes à une économie circulaire durable dans toutes ses dimensions. Mais un taux de collecte de 100 pour cent ne serait pas forcément souhaitable d'un point de vue économique. Cela augmenterait certes la durabilité écologique, mais entra?nerait en fin de compte des co?ts de collecte plus élevés que les revenus supplémentaires générés par la vente de PET recyclé.

On le voit bien : L'objectif d'une économie produisant le moins de déchets et de dommages environnementaux possible est complexe et implique des compromis. Néanmoins, "si nous voulons préserver les ressources naturelles, l'économie circulaire est certainement un pas dans la bonne direction", déclare Blum. S'il y a un pays qui peut jouer un r?le de pionnier dans ce domaine, c'est bien la Suisse, ajoute Bening.

Ce texte est paru dans l'édition 20/04 du magazine de l'ETH Globe est paru.

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