Des milliers de sismomètres sur un seul c?ble

Les c?bles à fibres optiques sont en train de devenir un outil précieux pour les géoscientifiques et les glaciologues. Ils permettent de mesurer à peu de frais les secousses les plus fines dans les glaciers - ou de donner une image plus précise du sous-sol géologique des mégapoles exposées aux tremblements de terre.

Séismes glaciaires
Le chef de projet Fabian Walter (derrière) et sa collaboratrice Ma?gorzata Chmiel lors de tests de fonctionnement sur le c?ble (photo : Wojciech Gajek).

Aujourd'hui, les c?bles en fibre optique assurent une transmission rapide des données et permettent de regarder des films et des séries en streaming en HD ou même en résolution 8K. Travailler à domicile est également devenu impensable sans une transmission de données rapide et à large bande via la fibre optique. Mais les applications profanes ne sont pas les seules à être possibles avec les fibres optiques. Depuis longtemps déjà, les exploitants d'infrastructures critiques, par exemple, utilisent la fibre optique pour surveiller leurs installations.

"Le fait que l'on puisse utiliser les fibres optiques à de nombreuses fins n'est pas nouveau", explique Andreas Fichtner, professeur de géophysique au Département des sciences de la Terre de l'ETH Zurich. Mais il s'emploie désormais, avec Fabian Walter, professeur au Laboratoire de recherches hydrauliques hydrologiques et glaciologiques (VAW), à élargir massivement le champ d'application des c?bles à fibres optiques. Les deux professeurs de l'ETH mesurent ainsi les séismes glaciaires avec une résolution sans précédent sur le glacier du Rh?ne, dans les Alpes suisses.

Alors que Fichtner est surtout intéressé par l'exploration du potentiel des c?bles à fibres optiques pour la sismologie (recherche sur les tremblements de terre), le glaciologue Walter est surtout intéressé par une meilleure compréhension du glissement des glaciers et des processus sismiques qui y sont liés dans la glace : "Je suis particulièrement intéressé par les séismes qui proviennent du lit du glacier".

Mesures à haute résolution

Fin juin 2020, les chercheurs ont posé un c?ble de neuf kilomètres à la surface du glacier du Rh?ne et l'ont couplé à un appareil de mesure appelé Interrogator. Les chercheurs ont installé leurs tentes sur la moraine latérale ; pendant deux mois, deux personnes y ont vécu chaque semaine pour surveiller les appareils, remplacer les disques durs mobiles pleins et maintenir le générateur électrique en marche.

La technique utilisée par les chercheurs est relativement simple. Un faisceau lumineux d'une longueur d'onde donnée est envoyé en permanence à travers la fibre optique. Chaque pression ou tension exercée sur le c?ble modifie le modèle des ondes lumineuses. L'interrogateur mesure les interférences de retour, à partir desquelles les chercheurs peuvent ensuite calculer où des secousses se sont produites et quelle était leur intensité. Et ce, avec une très haute résolution spatiale et temporelle. "Un c?ble remplace des milliers de sismomètres", souligne Fichtner. La sensibilité est certes inférieure à celle des sismomètres de haute qualité, mais cela est largement compensé par le nombre énorme de points de mesure.

Cette méthode de mesure à haute résolution génère toutefois une montagne de données : "Les évaluations seront terribles", sourit Fichtner. "La campagne de mesure devrait générer environ 20 téraoctets de données brutes, soit 10 à 100 fois plus que ce qui serait collecté par dix sismomètres répartis sur le glacier.

Des mini-séismes toutes les secondes

Fichtner et Walter ont effectué les premiers tests avec un c?ble court au printemps 2019. Les chercheurs ont rédigé un travail scientifique à ce sujet, qui a récemment été publié dans la revue spécialisée "Nature Communications". Les chercheurs y ont non seulement montré le potentiel élevé de la méthode, mais aussi que les séismes glaciaires se produisent principalement en essaims, notamment dans la zone frontière entre la glace et le lit du glacier. De tels amas laisseraient supposer que la glace ne glisse pas, mais avance par à-coups. "Selon les théories courantes, cela ne devrait pas être le cas", explique Fabian Walter, "jusqu'à présent, les glaciologues partaient du principe que le lit d'un glacier était bien lubrifié par l'eau de fonte, ce qui permettait un glissement". Les mini-séismes dans le glacier du Rh?ne se produisent parfois toutes les secondes.

"Ma nouvelle hypothèse est que le glissement des glaciers est comparable au glissement des plaques tectoniques", ajoute Walter. La plupart des secousses mesurées dans le glacier du Rh?ne ont une magnitude de -1 à -2, "ce qui correspond à peu près au craquement dans la glace lorsque l'on fait du patin à glace sur un lac gelé", explique-t-il. "On ne peut pas le ressentir comme un vrai tremblement de terre".

Des séismes glaciaires d'une magnitude de 3 à 4 sont toutefois connus en Antarctique, et même un de magnitude 7 dans des cas extrêmes. A titre de comparaison, le séisme de Gorkha au Népal en 2015 avait une magnitude de 7,8. La différence serait que des séismes glaciaires aussi importants se produisent lentement par rapport aux séismes classiques et peuvent durer plusieurs minutes. Ils sont donc moins destructeurs qu'un séisme sur les plaques tectoniques.

Prévention des tremblements de terre à l'aide de réseaux de fibres optiques

Le géophysicien Fichnter, quant à lui, ne veut pas utiliser les c?bles à fibres optiques uniquement pour mesurer les tremblements de terre des glaciers. Il envisage d'utiliser un jour les réseaux de fibres optiques des grandes villes pour étudier le sous-sol géologique. Mot-clé : tomographie sismique. Cette méthode permet aux chercheurs de détecter les couches rocheuses fragiles ou les points de rupture critiques. L'objectif est de créer une image du sous-sol à partir de la vitesse et du temps de propagation des ondes sismiques captées par la fibre optique, afin de mieux évaluer le risque sismique. Il est envisageable d'utiliser les réseaux de fibres optiques de grandes agglomérations comme Istanbul, Athènes ou San Francisco, qui présentent un risque sismique important.

Fichtner a démontré que cela pourrait fonctionner à l'aide d'un essai de faisabilité réalisé à Berne. Lui et ses collaborateurs y ont effectué des mesures sismiques sur une fibre optique droite de six kilomètres de long, en collaboration avec l'opérateur Internet Switch. "Cela correspond à environ 3000 sismomètres plus petits. Installer autant d'appareils de ce type avec une telle densité est tout simplement impossible", souligne Fichtner.

Il a installé l'interrogateur dans la salle des serveurs de l'université de Berne. Les données fournies par la fibre optique ont finalement permis d'obtenir une image détaillée du sous-sol de Berne. "Berne était la zone de test idéale, notamment parce que la géométrie des fibres était très simple", se souvient Fichtner. Apprendre à ma?triser des réseaux de fibres optiques plus complexes est une question de temps et de possibilité de pouvoir effectuer de telles mesures dans de grandes villes.

Géosciences au glacier de Rohne

Ce texte est paru dans le dernier numéro de l'ETH Magazine. Globe est paru.

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