Les initiatives sur les pesticides méritent un contre-projet

Les deux initiatives populaires sur l'interdiction des pesticides et sur l'eau potable sont justifiées mais inflexibles. Il faut rapidement un contre-projet efficace, estime Bernhard Wehrli.

Bernhard Wehrli

En Suisse, plus de 300 pesticides différents protègent les céréales, les fruits et les légumes contre les mauvaises herbes, les insectes et les champignons. Cela permet d'éviter les pertes de récolte, les fruits véreux et les légumes pourris sur le marché. Idéalement, ces produits phytosanitaires n'agissent que brièvement et sont ensuite dégradés par les bactéries. Deux initiatives populaires en suspens veulent réduire, voire interdire, l'utilisation de pesticides artificiels dans l'agriculture suisse. Renoncer totalement à l'agrochimie dans la culture et l'importation de denrées alimentaires, comme le demande l'initiative sur les pesticides.1, est à mon avis irréaliste si nous voulons nourrir en toute sécurité une population globalement croissante dans des conditions environnementales qui évoluent rapidement.

Pesticide
Moins serait plus : en Suisse, les produits phytosanitaires issus de l'agriculture polluent les eaux souterraines. Il est nécessaire d'agir. (Image : DieterMeyrl / iStock)

Les grandes cultures polluent l'eau potable

Les initiants s'attaquent toutefois à un problème réel et sérieux. De nouvelles études confirment la contamination étendue des eaux souterraines suisses par des produits phytosanitaires, notamment dans les régions de grandes cultures du Plateau.2. En fait, la consommation de pesticides dans l'agriculture suisse est considérable, même en comparaison internationale, et plus de 2000 tonnes de produits phytosanitaires sont pulvérisées sur les cultures. La pluie lave une partie de ces produits chimiques dans la nappe phréatique, tout comme leurs produits de dégradation, appelés métabolites. Dans le sous-sol frais, la dégradation est lente et les produits chimiques s'accumulent. Certains pesticides, comme l'atrazine, un désherbant, restent détectables pendant des décennies, même si la substance est interdite depuis longtemps. L'initiative sur l'eau potable3 demande donc qu'en matière de grandes cultures, seules les exploitations qui renoncent aux pesticides de synthèse re?oivent des paiements directs.

Le cas problématique des métabolites

Certes, tous les métabolites de pesticides ne sont pas dangereux, mais la recherche met constamment en évidence de nouveaux risques. Certains métabolites sont plus solubles dans l'eau et ont une durée de vie nettement plus longue que la substance active d'origine. Le fongicide chlorothalonil en est un exemple récent. Cette substance est admise dans notre pays contre les attaques fongiques dans les cultures de légumes et de céréales. Mais l'Autorité européenne de sécurité des aliments a récemment renforcé le profil de risque de ce fongicide, car la substance peut potentiellement provoquer le cancer.4. Suite à cela, la Commission européenne n'a pas renouvelé l'admission, et en Suisse, l'utilisation doit également être interdite.

Mais le problème n'est pas résolu pour autant - les eaux souterraines suisses sont déjà trop fortement contaminées par les métabolites du chlorothalonil. Karin Kiefer, doctorante de l'ETH, a analysé 31 échantillons d'eau souterraine à l'Eawag et a mis en évidence un nouveau produit de dégradation du chlorothalonil dans 20 cas.5. Celle-ci dépasse en moyenne cinq fois la valeur limite ; la concentration la plus élevée est même 27 fois supérieure à la limite autorisée. Les captages d'eau concernés devraient être assainis dans un délai d'un mois. Mais cela ne sera pas possible en raison de la pollution à grande échelle dans les zones de culture et du manque de techniques d'épuration.

Un compromis est nécessaire

L'eau potable propre est un bien extrêmement précieux. Si nous voulons préserver à long terme la sécurité de l'eau potable sur le Plateau suisse, nous devons réduire le plus rapidement possible l'utilisation de pesticides problématiques dans les zones de grandes cultures. C'est pourquoi le conseiller fédéral a adopté en 2017 un plan d'action pour la réduction des produits phytosanitaires.6,qui se fonde sur une analyse minutieuse des risques. Jusqu'à présent, ce plan reste toutefois aussi peu contraignant que l'intention récemment publiée du conseiller fédéral d'"examiner", dans le cadre de la politique agricole, d'éventuelles bases légales de protection contre la pollution par les pesticides à partir de 2022.

"Nous avons besoin de mesures efficaces qui réduisent rapidement les risques liés aux pesticides sans trop restreindre la production agricole".Bernhard Wehrli

Au lieu de déclarations d'intention, une action effective est nécessaire le plus rapidement possible. A cet égard, l'initiative sur l'eau potable offrirait, par le biais des paiements directs, une incitation financière concrète à produire sans pesticides. Malheureusement, la proposition est inflexible, car elle traite tous les produits phytosanitaires de synthèse de la même manière, indépendamment de leur potentiel de risque, et ne soutient pas une réduction progressive.

De mon point de vue, nous avons besoin en Suisse de mesures efficaces qui réduisent le plus rapidement possible les risques liés à l'utilisation de pesticides, sans pour autant limiter trop fortement la production agricole. La prochaine étape sera l'examen par le Conseil aux ?tats de l'initiative sur l'eau potable et les pesticides. Le fait que la Commission de l'économie du Conseil aux ?tats veuille maintenant élaborer un projet contraignant de réduction de la consommation de pesticides par le biais d'une initiative parlementaire est à saluer [7]. Une démarche logique serait par exemple d'ancrer rapidement dans la loi des parties du plan d'action sur les produits phytosanitaires sous la forme d'un contre-projet. Un plan de réduction des pesticides contraignant et aux dents acérées serait un compromis avec lequel les agriculteurs, la population et l'environnement pourraient vivre en bonne intelligence.

Plus d'informations

1 Initiative sur les pesticides : initiative populaire fédérale "page externePour une Suisse sans pesticides de synthèse"

2 OFEV (2019) : page externe?tat et évolution des eaux souterraines en Suisse.

3 Initiative pour l'eau potable : initiative populaire fédérale "page externePour une eau potable propre et une alimentation saine - Pas de subventions pour l'utilisation de pesticides et d'antibiotiques prophylactiques"

4 EFSA (2018) : page externeExamen par les pairs de l'évaluation des risques pesticides de la substance active chlorothalonil. doi : 10.2903/j.efsa.5126

5 K. Kiefer et al. (2019) New relevant pesticide transformation products in groundwater detected using target and suspect screening for agricultural and urban micropollutants with LC-HRMS. Recherche sur l'eau. Voir l'article d'actualité de la page externeEawag.

6 Plan d'action page externeProduits phytosanitaires

7 Neue Zürcher Zeitung, 30.Aug. 2019 : page externeLes conseillers aux ?tats déjouent les calculs de l'Union suisse des paysans

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