Plus de migration à cause du changement climatique ?

Le changement climatique va-t-il réellement déclencher une grande migration de population, comme on le prétend souvent ? Se fera-t-elle en premier lieu des pays pauvres vers les pays riches ? Vally Koubi et Thomas Bernauer font le point.

Vally Koubi et Thomas Bernauer

Le réchauffement climatique a des effets de plus en plus négatifs sur l'humanité et les écosystèmes. Alors que les scientifiques s'interrogent sur la plupart de ces conséquences1 sont d'accord, les avis divergent fortement sur la manière dont le changement climatique influence le comportement migratoire humain. Plusieurs leaders politiques, organisations internationales et scientifiques affirment que le changement climatique entra?nera d'importants flux migratoires au niveau international, principalement des pays pauvres vers les pays riches.

Vue agrandie : migrants dans le désert
Migrants dans le désert au Tchad, décembre 2012. (Image : yoh4nn / iStock)

Des flux de réfugiés vers l'Europe ?

Dans un récent article publié dans la revue Science2ont publié des articles que nous contestons clairement,3 on estime par exemple que le nombre de demandeurs d'asile dans l'Union européenne pourrait augmenter de près de 200 % d'ici la fin du siècle en raison du changement climatique. En outre, certaines autres études affirment que le changement climatique obligera des millions de personnes à quitter leur pays dans les décennies à venir. Le titre (traduit en allemand) d'un article paru dans le Guardian reflète cette attente : "Le changement climatique 'va provoquer la plus grande crise mondiale de réfugiés'".4

Mauvaise focalisation

Nos propres recherches indiquent toutefois que de telles prévisions - à l'instar des prédictions antérieures selon lesquelles le changement climatique déclencherait des guerres - ne sont pas toujours fondées.5 - sont extrêmement spéculatives et ne sont pas suffisamment étayées par des données solides.6 L'une des principales raisons de notre grand scepticisme à l'égard de ces prévisions est qu'elles se concentrent généralement sur les personnes qui sont supposées être exposées à des risques climatiques croissants, plut?t que sur les personnes qui envisagent réellement de migrer. De plus, ces prévisions ne tiennent souvent pas compte du potentiel d'adaptation et des différents degrés de vulnérabilité des personnes concernées, bien qu'il s'agisse justement de facteurs centraux dans les décisions de migration.

Dans deux articles récents parus dans Développement mondial7et Population et environnement8nous mettons en lumière le lien entre le changement climatique et la migration. Nos études se basent sur des entretiens systématiques avec environ 4000 hommes et femmes dans des régions du Cambodge, du Nicaragua, du Pérou, de l'Ouganda et du Vietnam qui connaissent de forts changements environnementaux ou climatiques.

Nous avons étudié la manière dont ces personnes per?oivent les changements climatiques et leur impact sur leurs conditions de vie, et si elles choisissent d'émigrer ou de rester là où elles vivent. Contrairement à pratiquement toutes les études précédentes, nos données fournissent des informations à la fois sur les personnes qui ont quitté leur pays et sur celles qui sont restées malgré les changements climatiques. Cette distinction est importante, car les raisons potentielles d'une migration due au changement climatique ne peuvent être déterminées que si les migrants et les non-migrants sont comparés.

?valuer les motifs de migration

Dans nos études, nous distinguons deux types d'événements liés au changement climatique : 1) ceux qui surviennent soudainement et sont de courte durée, comme les tempêtes et les inondations ; et 2) ceux qui se développent lentement, comme les sécheresses ou la salinisation croissante de l'eau et des sols. Dans le premier cas, selon notre expérience, les gens n'ont souvent pas d'autre choix que de déménager, mais cela se fait généralement à l'intérieur du pays d'origine et ne concerne donc pas les pays lointains. En revanche, dans le cas des changements climatiques qui se dessinent lentement et de leurs conséquences, il est plus probable que les personnes concernées restent et tentent de s'adapter aux conditions changeantes.

"S'il existe une possibilité de s'adapter d'une manière ou d'une autre au changement climatique, les personnes concernées ont plus de chances de rester et de ne pas émigrer".Thomas Bernauer et Vally Koubi

Un déménagement, en particulier dans un pays étranger, est trop co?teux et trop compliqué pour la grande majorité des gens. De plus, la plupart des gens se sentent liés à leur pays d'origine sur le plan économique, social et culturel. S'il existe donc une possibilité de s'adapter d'une manière ou d'une autre au changement climatique, la probabilité est grande que les personnes concernées restent et n'émigrent pas.

En fait, notre analyse montre que les changements climatiques n'entra?nent souvent pas le départ de personnes. Et ce, même si certaines personnes concernées ne restent que parce qu'elles ne peuvent pas partir, même si elles le souhaitent, en raison de l'échec de leurs efforts d'adaptation et du manque de moyens.

Une aide à l'adaptation est nécessaire

Les études insuffisamment étayées qui affirment que le changement climatique forcera des millions de personnes à émigrer sont discutables tant sur le plan scientifique que politique. De telles études détournent l'attention du fait que la grande majorité des personnes touchées par le changement climatique, notamment celles vivant dans les pays pauvres, préfèrent rester chez elles.

Cela signifie qu'un soutien international nettement plus important sera nécessaire pour que les pays en développement puissent s'adapter au changement climatique. Non pas parce que les populations concernées se retrouveraient sinon réfugiées dans les pays riches et industrialisés, mais pour soulager la souffrance de ceux qui souffrent le plus de l'évolution des conditions climatiques.

Références

1Climate Change 2014 : Impacts, Adaptation, and Vulnerability ; page externeGIEC AR5 WG2 (en anglais)

2 Les demandes d'asile réagissent aux fluctuations de température : page externeArticle dans Science

3 page externeArticle dans Le Miroir

4 page externeArticle dans le Guardian (en anglais)

5 Hsiang, S.M. et M. Burke (2014) Climate, conflict, and social stability : what does the evidence say ? Clim Change 123:39-55. doi : page externe10.1007/S10584-013-0868-3 (en anglais)

6 Un seul effet pour les gouverner tous ? Un commentaire sur le climat et les conflits. page externeSpringer (en anglais)

7 Environmental Stressors and Migration : Evidence from Vietnam. page externeDéveloppement mondial (en anglais)

8 Le r?le des perceptions environnementales dans la prise de décision en matière de migration : page externePopulation et environnement (en anglais)

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