Des structures ressemblant à des protéines issues de la soupe primitive

Des scientifiques de l'ETH ont montré lors d'une expérience que des structures bidimensionnelles semblables à des protéines - des amyolo?des - pouvaient se former avec une facilité déconcertante à partir de simples éléments constitutifs. Cette découverte conforte les chercheurs dans leur hypothèse selon laquelle les formes primitives de la vie pourraient être issues de tels amylo?des.

Soupe primitive
Selon l'idée courante de la science, les premiers précurseurs de la vie sont apparus dans des mares peu profondes. (Image : Science Photo Library / Richard Bizely)

Cela a d? se passer il y a 4 ou 4,5 milliards d'années. Il n'y avait alors que de la matière inanimée sur la Terre. Mais à un moment donné, des structures organisées plus grandes, capables de se reproduire, se sont formées à partir de petits composés chimiques. Les premiers précurseurs de la vie étaient nés. On ignore ce qu'étaient ces molécules et de quoi elles étaient constituées, c'est sans doute le plus grand mystère de l'histoire de l'évolution.

Le professeur de l'ETH Roland Riek et son ma?tre-assistant Jason Greenwald ont toutefois une hypothèse : il est bien possible que ces premières structures semblables à la vie aient été des agrégats de type protéique - des amylo?des. De nouveaux résultats de recherche issus de leur laboratoire donnent désormais du poids à leur hypothèse.

Lors d'une expérience, les scientifiques ont montré que de telles structures amylo?des pouvaient se former spontanément avec une facilité déconcertante - à partir d'éléments constitutifs qui existaient probablement sur la Terre inanimée, et dans des conditions de réaction qui semblent également plausibles pour la Terre primitive. Les chercheurs ont utilisé quatre acides aminés simples comme matières premières : la glycine, l'alanine, l'acide aspartique et la valine. En outre, ils ont utilisé comme composé favorisant la réaction (catalyseur) le sulfure de carbonyle, un gaz volcanique dont on peut également supposer qu'il était présent sur la Terre il y a des milliards d'années.

Longues structures foliaires

Dans l'expérience de laboratoire, les molécules d'acides aminés se sont spontanément liées à l'aide de sulfure de carbonyle pour former de courtes cha?nes de 5 à 14 éléments (peptides). Ces cha?nes se sont à leur tour juxtaposées latéralement, dans des structures amylo?des que les spécialistes appellent des feuillets β. Dans l'expérience, ces structures en feuillets se présentaient sous forme de fibres et étaient souvent constituées de milliers de cha?nes peptidiques juxtaposées, comme les scientifiques ont pu le montrer notamment par microscopie électronique.

Schéma
En vert, le schéma d'une structure foliaire composée de plusieurs cha?nes de pepides plus courtes. Dans leurs expériences, les scientifiques ont trouvé de telles structures dans de longues fibres (à gauche : image au microscope électronique). (Image : ETH Zurich / Jason Greenwald)

Pour que les molécules d'acides aminés s'assemblent en cha?nes peptidiques suffisamment longues, les scientifiques ont d? recourir à une astuce lors de l'expérience. "Si l'on mélangeait simplement les acides aminés et le sulfure de carbonyle dans un tube à essai, seules de très courtes cha?nes peptidiques se formeraient et ne s'assembleraient pas pour former une structure en feuille", explique Greenwald. Pendant des heures, les scientifiques ont donc fait tomber goutte à goutte des molécules d'acides aminés activées par le sulfure de carbonyle dans l'éprouvette. "On peut imaginer qu'un processus aussi lent - voire qui dure des années - avec un afflux constant de nouveaux composés chimiques a également eu lieu au début de l'histoire de la Terre", explique Greenwald.

Action catalytique

Ces dernières années, les amylo?des ont déjà été considérés par les scientifiques comme des candidats pour les premières structures ressemblant à la vie. On sait en effet que des amylo?des de structure simple peuvent déjà remplir certaines fonctions chimiques. L'année dernière, Riek et ses collaborateurs ont ainsi découvert des structures amylo?des capables de scinder des composés chimiques du groupe des esters.

Les scientifiques de l'ETH font toutefois remarquer qu'il manque encore une pièce essentielle du puzzle de la cha?ne d'argumentation dans l'"hypothèse amylo?de" qu'ils postulent : les amylo?des peuvent-ils aussi s'auto-répliquer, comme le font les molécules d'ARN ? C'est envisageable, affirment Riek et Greenwald. La preuve expérimentale n'a toutefois pas encore été apportée. Ils y travaillent avec leurs collègues.

Les amylo?des plus probables que le seul ARN

Mais d'ores et déjà, les chercheurs qualifient leur hypothèse de bien plus probable que celle émise depuis plusieurs décennies par les scientifiques, selon laquelle les précurseurs de la vie auraient été constitués uniquement de molécules d'ARN. L'argument principal des scientifiques de l'ETH : les molécules d'ARN ayant une fonction biologique sont relativement grandes et complexes. "Elles sont si grandes qu'il est peu probable qu'elles aient pu se former spontanément. Dans le cas des amylo?des, des fonctions chimiques ont déjà été démontrées pour des structures beaucoup plus simples", explique Greenwald. De plus, les éléments constitutifs de l'ARN sont plus complexes que ceux des amylo?des et des protéines. Ces dernières seraient en outre plus stables dans des conditions environnementales difficiles. "Tout cela rend plausible le fait que les premières molécules fonctionnelles étaient des amylo?des", explique Riek.

Références bibliographiques

Greenwald J, Friedmann MP, Riek R : Amyloid Aggregates Arise form Amio Acid Condensations under Prebiotic Conditions, Angewandte Chemie 2016, 55 : 1-6, doi : page externe10.1002/anie.201605321

Friedmann MP, Torbeev V, Zelenay V, Sobol A, Greenwald J, Riek R : Towards Prebiotic Catalytic Amyloids Using High Throughput Screening, PLOS One 2015, 10 : e0143948, doi : page externe10.1371/journal.pone.0143948

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