Calculer pour le climat (2e partie) : Comment fonctionnent les modèles climatiques modernes

Dans notre dernier article, nous avons fait le lien entre les débuts théoriques du calcul météorologique et la modélisation moderne du climat sur des systèmes informatiques massivement parallèles. Cet article de suivi porte sur les modèles climatiques et la question fondamentale : comment pouvons-nous simuler une atmosphère en constante évolution ?

Vue agrandie : une grille de calcul pour modéliser le climat de la planète.
Une grille de calcul pour modéliser le climat de la planète. (Illustration : projet européen Carbones)

Les simulations informatiques permettent d'établir des prévisions météorologiques quotidiennes et sont extrêmement importantes pour faire face aux défis du changement climatique. Afin de comprendre et de prévoir le comportement du système climatique, les scientifiques construisent et utilisent des modèles de calcul complexes qui prennent en compte les propriétés chimiques et physiques pertinentes de la surface terrestre (terres et océans) sous une forme simplifiée. Mais comment fonctionnent exactement les modèles climatiques et quelles sont leurs implications pour l'informatique ?

Calcul sur des grilles tridimensionnelles

Semblable aux premiers efforts de Richardson (voir Première partie de cette série en deux parties), les modèles climatiques modernes tendent une grille de calcul tridimensionnelle sur la Terre. Cela permet de calculer les lois physiques qui influencent l'atmosphère : Dans chaque cellule de la grille, il y a des valeurs pour la vitesse du vent, la température, la pression, l'humidité relative et les concentrations de composants atmosphériques (en particulier la vapeur d'eau, mais aussi d'autres gaz et aérosols), qui définissent ensemble l'état actuel de l'atmosphère dans cette zone. Plus la cellule de la grille est petite, plus la résolution du modèle est élevée. En tenant compte des lois de la physique, un programme informatique calcule alors pas à pas toutes les valeurs des états atmosphériques futurs. Pour mettre à jour les valeurs dans une cellule donnée, le logiciel a également besoin d'informations provenant des cellules voisines. De tels programmes sont souvent appelés programmes stencil [1]. Comme le temps de calcul et les besoins en mémoire augmentent linéairement avec le nombre de cellules de la grille, l'implémentation parallèle efficace des programmes Stencil est un thème de recherche important du Scalable Parallel Computing Laboratory. SPCL. Parmi les références suivantes, on trouve une introduction aux modèles climatiques ainsi qu'une simulation de tornade : [2], [3].

Faire tourner des millions de processeurs

Lorsque nous calculons un code climatique et météorologique sur une machine à haute échelle comme le Piz Daint au Centro Svizzero di Calcolo Scientifico page externeCSCS nous devons paralléliser le programme de stencil de manière à ce qu'il puisse être exécuté sur des millions d'éléments de traitement. En collaboration avec MétéoSuisse et le CSCS, un étudiant du SPCL, Tobias Gysi, a développé un langage de programmation spécialisé qui permet aux météorologues d'adapter très facilement les programmes Stencil, tout en permettant aux informaticiens de paralléliser et d'optimiser l'exécution des programmes. Ce langage spécifique au domaine (DSL, "domain-specific language") sépare ainsi le travail du météorologue, qui définit le véritable problème de calcul scientifique, de celui de l'informaticien, qui optimise le calcul à effectuer. L'optimisation efficace et automatique de tels langages spécifiques à un domaine pour du matériel hétérogène représente une t?che de recherche importante pour l'informatique.

Un autre domaine de recherche est la sauvegarde et la gestion des énormes quantités de données qui sont déjà générées pendant une seule simulation. Des paramètres tels que la pression et la vitesse du vent sont enregistrés pour chaque point de grille et chaque pas de temps. On estime que le volume de données pourrait atteindre des exaoctets dans un avenir proche (1018 octets, ce qui correspond à 1'000'000 de disques durs de 1 To). Pour cela, de nouvelles techniques performantes sont nécessaires pour la production et la gestion des données ainsi que pour les analyses en ligne. MétéoSuisse, le CSCS et l'ETH Zurich s'attaquent à ces défis dans le cadre d'une collaboration financée par le Fonds national suisse dans le cadre du programme Sinergia. [4]

Modéliser le changement climatique au-dessus des Alpes et de l'Europe

Récemment, une simulation complète de l'été européen a été achevée [5], [4]. Elle utilise un réseau de calcul de 500 x 500 x 60 points de grille avec une résolution horizontale de 2,2 km et couvre une période de 30 ans. Afin de gérer efficacement les énormes quantités de données associées, seule une petite partie de la sortie a été stockée. Néanmoins, les archives représentent plus de 120 TB. La simulation a été réalisée avec une version conventionnelle du modèle COSMO et a consommé plus d'un an et demi de temps de calcul sur le supercalculateur Monte Rosa au CSCS.

Nous souhaitons ensuite réaliser des simulations similaires avec la version de COSMO compatible avec les GPU ; mais cette fois, la modélisation doit couvrir l'ensemble du continent européen avec un domaine de calcul dix fois plus grand (voir illustration et animation en Première partie). Une architecture matérielle plus récente devrait également être utilisée à cette occasion (Cray XC30, Piz Daint) [3]. Piz Daint présente une puissance de crête remarquable de 6 x 1015Flop/s (opérations en virgule flottante par seconde, "floating point operations per second") et dispose de 5'272 n?uds de calcul au total. Comme notre implémentation actuelle de la version GPU de COSMO ne nécessite que 144 n?uds (soit trois pour cent), l'extension prévue du domaine de calcul est un objectif très réaliste.

Avec ces calculs, nous souhaitons mieux comprendre et prévoir le cycle de l'eau, y compris les épisodes extrêmes de fortes précipitations. Des simulations dans les régions alpines ont déjà donné des résultats intéressants qui ne seraient guère crédibles s'ils étaient basés sur des hypothèses semi-empiriques. Les résultats indiquent en effet que la quantité moyenne de précipitations estivales diminuera d'environ 30 pour cent d'ici la fin du siècle, tandis que la fréquence des orages et des averses violents augmentera considérablement. En d'autres termes, on s'attend à une augmentation des cas extrêmes aux deux extrémités du spectre, c'est-à-dire des sécheresses et des inondations soudaines. Les résultats de telles expériences peuvent être intéressants pour l'adaptation au changement climatique : En effet, les fortes précipitations à court terme ont des conséquences sur la manière dont nous devrions gérer les réserves d'eau et nous protéger contre les inondations.

La coopération favorise les sciences climatiques

Pour prévoir le temps et le climat, il faut non seulement des ordinateurs puissants, mais aussi une collaboration étroite entre les sciences climatiques et l'informatique. Les architectures matérielles hétérogènes sont indispensables aux simulations modernes, mais elles nécessitent une approche fondamentalement nouvelle du développement logiciel. La version actuelle du modèle COSMO est le seul modèle météorologique et climatique régional disponible au monde qui peut fonctionner entièrement sur des GPU. Cette avancée et les perspectives qui en découlent sont le fruit d'une étroite collaboration multidisciplinaire entre le CSCS, MétéoSuisse, le C2SM et les départements Informatique et Sciences des systèmes de l'environnement de l'ETH Zurich.

Torsten Hoefler a écrit ce billet de blog en collaboration avec Christoph Sch?r (ETH Zurich) et Oliver Fuhrer (MétéoSuisse).

Table ronde sur le climat

Aller plus loin

[1] page externeCode de stencil

[2] Une introduction à page externeclimate models

[3] Tornade page externesimulation

[4] crCLIM:Convection-resolving climate modeling on future supercomputing platforms. Un projet Sinergia financé par le FNS.

[5] Ban N., J. Schmidli et C. Sch?r, 2015 : Heavy precipitation in a changing climate : Does short-term summer precipitation increase faster ? Géophysique. Res. Lett., 42 (4), 1165-1172 page externedoi.

[6] Fuhrer, O., C. Osuna, X. Lapillonne, T. Gysi, B. Cumming, M. Bianco, A. Arteaga et T. C. Schulthess, 2014. Towards a performance portable, architecture agnostic implementation strategy for weather and climate models. Supercomputing Frontiers and Innovations, 1 (1), 45-62.

Vers l'auteur

Torsten Hoefler
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