Sur la piste des faussaires gr?ce aux mathématiques pratiques

Lors des "Pauli Lectures" de cette année, la professeure de mathématiques Ingrid Daubechies donnera un aper?u de ses recherches sur les ondelettes et le traitement numérique du signal. Elle utilise ces deux éléments, entre autres, pour identifier clairement les faux Van Gogh.

Vue agrandie : Ingrid Daubechies, professeur de mathématiques à l'université de Duke, peut distinguer les chefs-d'?uvre des contrefa?ons à l'aide du traitement numérique du signal. (Image : David von Becker / Montage)
Ingrid Daubechies, professeur de mathématiques à l'Université Duke, peut distinguer les chefs-d'?uvre des contrefa?ons à l'aide du traitement numérique du signal. (Image : David von Becker / Montage)

Enfant, Ingrid Daubechies voulait imiter son père et devenir ingénieur. Mais son affinité pour les mathématiques et la résolution de questions mathématiques complexes s'est mise en travers de son chemin. Elle a rapidement étudié la physique à la Vrije Universiteit de Bruxelles et y a obtenu son doctorat en physique théorique. Elle a ensuite entamé une carrière fulgurante qui l'a menée entre autres aux AT&T Bell Laboratories, à l'université de New York et à l'université de Princeton en tant que première professeure de mathématiques. Aujourd'hui, elle fait de la recherche et enseigne à l'université Duke de Durham, aux ?tats-Unis, et a été présidente de l'Union mathématique internationale de 2011 à 2015 - à nouveau en tant que toute première femme.

Co-inventeur de JPEG 2000

Daubechies s'est surtout fait conna?tre dans le monde entier pour ses travaux sur les ondelettes et leur utilisation pour le traitement numérique des images. Le format d'image JPEG 2000 - une version plus complexe et plus élaborée du format JPEG courant - est en grande partie le fruit des recherches de Daubechies. Un standard qui est même utilisé aujourd'hui par le FBI pour la prise d'empreintes digitales.

Les ondelettes sont des fonctions élémentaires. Lorsqu'elles sont combinées, elles permettent de représenter efficacement des fonctions générales, c'est-à-dire des signaux, et notamment leurs propriétés locales. Pour Daubechies, les images ne sont rien d'autre que des fonctions de deux variables. En effet, chaque image numérique à haute résolution est composée de milliers de pixels, la plus petite unité d'une image. Chacun de ces pixels est décrit mathématiquement : Pour les images en noir et blanc, il s'agit du niveau de gris, pour les images en couleur, de la couleur exacte du pixel. ? partir de ces séries de chiffres, les ordinateurs ou les smartphones peuvent calculer l'image réelle qui s'affiche chez nous à l'écran.

Restauration virtuelle d'?uvres d'art

Dans ses recherches, Daubechies utilise souvent un procédé appelé "décomposition par ondelettes". Elle "décompose" ainsi une image en de minuscules éléments qui décrivent ensemble ce que l'on voit sur une image. Elle se concentre surtout sur les zones de l'image dans lesquelles les pixels diffèrent fortement les uns des autres. Car c'est précisément à partir de là que l'on peut déterminer le caractère unique d'une image. L'application pratique de telles méthodes a été récemment démontrée par Daubechies à Gand. L'autel de Gand dans la cathédrale Saint-Bavon est un retable à volets de l'artiste Jan van Eyck datant du 15e siècle. L'?uvre se compose de douze tableaux individuels et est considérée comme un chef-d'?uvre et une ?uvre clé pour l'histoire de l'art de l'Europe occidentale. Comme la plupart des ?uvres de cette époque, les tableaux sont parsemés de minuscules fissures et cassures dues aux variations permanentes de température et d'humidité.

Sur demande, le groupe de recherche de Daubechie a créé une restauration virtuelle de l'?uvre. Pour ce faire, elle a développé un algorithme de traitement d'image qui a permis de détecter et de supprimer automatiquement les cassures dans une photographie haute résolution de l'image originale. Le résultat a été une image numérique restaurée du retable de Ghent. Les historiens de l'art ont pu mieux interpréter l'image gr?ce à la restauration virtuelle. Par exemple, ils ont pu décoder davantage de mots sur un livre médiéval qui avait été représenté par l'artiste sur l'image originale, ce qui a permis de faire de nouvelles découvertes sur les références.

"Calculer" le vrai Van Gogh

En collaboration avec le musée Van Gogh d'Amsterdam et une équipe de recherche multidisciplinaire, Daubechies a en outre prouvé que l'analyse des signaux des plus petits fragments d'images permettait également d'identifier les contrefa?ons. Les experts ont en effet remarqué que même chez les meilleurs faussaires, le trait diffère légèrement de celui du ma?tre. Les couleurs sont appliquées de manière plus hésitante et plus lente. Daubechies et ses collègues ont donc développé un algorithme de traitement d'image qui recherche précisément cette information. Une cha?ne de télévision a ensuite demandé au groupe d'utiliser son analyse d'image pour trouver une contrefa?on parmi six tableaux de Van Gogh. Ils y sont parvenus du premier coup.

"Ingrid Daubechies a apporté des contributions fondamentales au traitement numérique des signaux avec des applications pratiques", déclare Marc Burger, professeur au Département de mathématiques et organisateur des Pauli Lectures de cette année. "Nous sommes en outre particulièrement attirés par le mélange d'art, de sciences expérimentales et de mathématiques qui caractérise certaines de ses contributions à la recherche. Lors de la première des trois conférences données à l'ETH le 26 octobre, Daubechies se consacrera à la recherche en collaboration avec des historiens de l'art et des conservateurs et explorera les mathématiques qui se cachent derrière. Dans deux autres présentations, la professeure abordera d'une part les nouvelles applications du traitement du signal en biologie et, d'autre part, les nouvelles technologies de compression pour les photos, afin de rendre le stockage et la diffusion des images sur Internet plus simples et plus efficaces.

Pauli Lectures 2015

Les Wolfgang Pauli Vorlesungen sont une série de séminaires en trois parties qui a lieu chaque année depuis 1962. Elles sont consacrées alternativement à la physique, aux mathématiques et à la biologie. Dans le cadre des Pauli Vorlesungen, d'excellents intervenants présentent leurs recherches pionnières. Elles portent le nom du physicien théoricien et prix Nobel Wolfgang Pauli, qui fut professeur à l'ETH Zurich de 1928 à sa mort en 1958.

Les conférences Pauli 2015 auront lieu les 26, 27 et 29 octobre à 20h15 à l'Auditorium Maximum (F 30) dans le b?timent principal de la R?mistrasse 101 à Zurich. Les conférences sont publiques et s'adressent à un large public intéressé par les sciences naturelles. Ils sont donnés en anglais. L'entrée est gratuite et l'inscription n'est pas nécessaire.

Lundi 26 octobre : Mathematicians helping Art Historians and Art Conservators
Mardi 27 octobre : Lovely Bones : a meeting of mathematical and biological minds
jeudi 29 octobre : Surfing with Wavelets

Pour en savoir plus : www.pauli-lectures.ethz.ch

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