Prévisions - un pari scientifique avec une longue histoire

Depuis près de 140 ans, les scientifiques établissent des prévisions sur les événements futurs dans l'atmosphère. Au début, les prévisions étaient controversées, mais aujourd'hui, elles sont largement établies. Il s'agit toujours de savoir comment gérer les incertitudes. Ce que la perspective historique nous apprend pour les prévisions actuelles.

Vue agrandie : ancienne station météo
Station météorologique à la Bahnhofstrasse de Zurich vers 1940. (Image : Photographie de l'opticien Wilhelm Koch, Bibliothèque de l'ETH Zurich, archives photographiques, Ans 08747)

"Poursuite d'un temps chaud et sec sous un ciel serein". C'est ainsi que s'exprimaient, le 11 juin 1879, les prévisions météorologiques de la Meteorologische Centralanstalt de Zurich qui, depuis 1878, publiait quotidiennement une prévision pour les 24 heures suivantes. Quelques heures après l'arrivée du télégramme de prévisions à Lucerne ce 11 juin, un changement de temps imprévu s'y produisit : "Le tonnerre a éclaté dans un ciel noir et gris", a noté un lecteur. [1] Que signifiaient de telles erreurs de prévision pour le jeune service météorologique ? Robert Billwiller, le directeur de la Station centrale de météorologie (aujourd'hui MétéoSuisse), qualifiait ses propres prévisions de "produits imparfaits de la spéculation". [2] Il se protégeait de la critique en annon?ant ses prévisions comme des suppositions fondées, sous réserve d'erreur.

Des prévisions controversées

Vue agrandie : bulletin météorologique
Rapport météorologique avec prévisions dans le Neue Zürcher-Zeitung du 11 juin 1879 (image : archives NZZ).

Les pionniers de la prévision disposaient, gr?ce aux réseaux télégraphiques, de mesures de la pression atmosphérique en de nombreux endroits d'Europe. [3] Et pourtant, elle devait avouer avoir peu de connaissances sur les "rouages internes du temps". Au 19e siècle, les prévisions météorologiques étaient très controversées parmi les météorologues. Beaucoup voyaient la scientificité de leur discipline en danger et craignaient que des prévisions erronées ne nuisent à leur réputation. La lutte concurrentielle entre la météorologie "pure" et la météorologie "pratique" n'était pas menée à l'écart de la société. Le grand intérêt du public et le soutien actif de l'?tat favorisaient la prévision. Dans les premières années, les besoins pratiques devan?aient toutefois de loin les possibilités de prévision. Les prévisionnistes eux-mêmes se plaignaient que le public ne pouvait pas se fier à leurs messages : selon les mots du météorologue viennois Otto Myrbach, la prévision du temps était "l'enfant terrible de la météorologie". [4]

Malgré toutes les faiblesses évidentes, l'espoir subsistait que le service météorologique se révèle être une installation utile à l'avenir. Les météorologues croyaient qu'une plus grande quantité d'observations et des moyens de communication plus efficaces permettraient de réduire les incertitudes. Certains annon?aient même qu'ils pourraient un jour prédire l'évolution du temps avec une "certitude absolue". [5] Depuis, les météorologues ont effectivement réussi à améliorer considérablement leurs prévisions, qui sont aujourd'hui largement utilisées, contrairement à ce qui se passait au 19e siècle. [6] De vastes réseaux de données, y compris des enregistrements par satellite, permettent d'annoncer le temps futur avec une grande probabilité jusqu'à six jours à l'avance. Néanmoins, les météorologues continuent de lutter contre le caractère chaotique de l'atmosphère. La question de savoir si une extension des prévisions météorologiques à plusieurs semaines est réalisable en Europe centrale fait l'objet d'un débat controversé.

Du passé à l'avenir

Vue agrandie : carte des paris
La tentative d'établir des prévisions météorologiques fiables remonte au 19e siècle. Les prévisionnistes analysaient la répartition de la pression atmosphérique en Europe à l'aide de données télégraphiées et faisaient ensuite des "suppositions fondées" sur l'évolution future du temps. Carte extraite d'un rapport météorologique de la Schweizerische Meteorologische Centralanstalt de 1881 (Image : Bibliothèque de l'ETH Zurich, Anciennes et Rares Gravures).

Les prévisionnistes du XIXe siècle associaient leurs prévisions météorologiques à court terme à l'observation du climat à long terme. Pour Robert Billwiller, la climatologie fonctionnait comme une "prévision du temps à grande échelle". [7] Au prix d'un laborieux travail de calcul, lui et ses collègues déterminaient les valeurs moyennes et extrêmes et recherchaient des régularités dans l'évolution météorologique à long terme. Ils espéraient découvrir des modèles dans la succession d'hivers rigoureux ou d'étés secs, qui permettraient de faire des prévisions sur plusieurs années. Vers 1900, les météorologues et les climatologues ont mené un débat intense pour savoir si le climat avait changé après la dernière période glaciaire ou s'il était stable, à l'exception de petites fluctuations. [8] La base de données était trop incertaine pour étayer l'une des deux hypothèses. Ce n'est qu'au 20e siècle que la climatologie historique a réussi à reconstruire de manière fiable le climat passé.

Depuis que, suite au changement climatique anthropique, les valeurs moyennes se déplacent et que la fréquence des extrêmes augmente, le climat futur est devenu un centre d'intérêt pour la société. En ce qui concerne les modèles climatiques, les scientifiques actuels sont confrontés à de nombreux facteurs d'incertitude, tout comme les prévisionnistes du 19e siècle. Les incertitudes concernent la variabilité interne du climat, les futures émissions de substances agissant sur le climat et les éventuelles erreurs de modélisation.

Vue agrandie : Anciens instruments météorologiques
Le réseau suisse de mesures climatiques, qui existe encore aujourd'hui, a démarré en décembre 1863 avec 88 stations. A partir de 1879, la Station centrale recevait quotidiennement par télégramme les valeurs de mesure d'une douzaine de ces stations et les publiait dans son bulletin météorologique. Répertoire d'instruments météorologiques des ateliers bernois Hermann&Pfister des années 1860. (Image : Bibliothèque de l'ETH Zurich, Archives universitaires, Archives de la Commission de glaciologie de l'ASSN, GK HS 1460)

Oser au lieu d'attendre

Chaque fois que cela est possible, les climatologues expriment les incertitudes en chiffres. On trouve des précurseurs de ces quantifications de l'incertitude dès la fin du 19e siècle, lorsque les prévisionnistes ont commencé à indiquer une probabilité de réussite pour leurs prévisions. Dans l'esprit du public, les prévisions météorologiques et les projections climatiques sont souvent confondues. Si les erreurs s'accumulent dans les prévisions à court terme, la confiance dans les modélisations à long terme diminue. De plus, l'acceptation du changement climatique semble varier en fonction des conditions météorologiques : les vagues de chaleur, par exemple, influencent le débat public.

Attendre que toutes les incertitudes soient levées n'est pas une option pour les climatologues. [9] Mais en fin de compte, ne mettent-ils pas en péril leur autorité scientifique ? Les météorologues et les climatologues, d'hier comme d'aujourd'hui, sont aux prises avec l'idée que le savoir des sciences naturelles ne peut être que vrai ou faux. La perspective historique montre que la seule issue consiste à communiquer clairement les incertitudes. Pour être acceptées en tant que connaissances valables, les prévisions d'avenir doivent être accompagnées d'une réflexion sur leurs limites respectives. Il est nécessaire de prendre des décisions politiques concernant le changement climatique maintenant, car les options d'action vont se réduire de plus en plus. Rien ne serait donc plus faux que de ne pas communiquer des évolutions climatiques probables, simplement parce qu'il n'est pas possible de faire des déclarations absolument s?res.

Informations complémentaires

[1] Schweizerische landwirthschaftliche Zeitung, 7 (1879), p. 320.

[2] Robert Billwiller, Witterungsberichte, in : Neue Zürcher-Zeitung, 04.06.1878.

[3] Pour l'histoire de la naissance des prévisions météorologiques, voir : Mark Monmonier, Air apparent : How meteorologists learned to map, predict, and dramatize weather, Chicago 1999 ; Katharine Anderson, Predicting the weather : Victorians and the science of meteorology, Chicago 2005 ; Fabien Locher, Le savant et la tempête : ?tudier l'atmosphère et prévoir le temps au XIXe siècle, Rennes 2008.

[4] Otto Myrbach, Fehlerquellen der Wettervorhersage, in : Meteorologische Zeitschrift, 32 (1915), p. 351-362.

[5] A. Schmauss, Die Wahrscheinlichkeit einer Wettervorhersage, dans : Meteorologische Zeitschrift, 36 (1919), p. 101-102.

[6] Pour un aper?u des développements, voir : Frederik Nebeker, Calculating the weather : Meteorology in the 20th century, San Diego 1995.

[7] Robert Billwiller, Die Messung der atmosph?rischen Niederschl?ge, in : Schweizerische landwirthschaftliche Zeitung, 9 (1881), p. 432-438.

[8] Sur l'évolution des idées sur le climat depuis le 18e siècle, voir : James R. Fleming, Historical perspectives on climate change, New York 1998.

[9] Rafaela Hillerbrand, Incertitudes dans les prévisions climatiques : un défi pour la théorie de la décision, dans : Journal de la justice intergénérationnelle, 9 (2009), p. 95-101.

A propos de l'auteur

Franziska Hupfer
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