Un monde de la construction sans ciment

Moins de ciment dans la construction, c'est l'objectif ambitieux de Guillaume Habert, professeur de construction durable à l'ETH. Mais les obstacles à surmonter sont nombreux.

Comparaison de différents matériaux de construction lors de la Summer School "Grounded Materials".
Comparaison de différents matériaux de construction lors de la Summer School "Grounded Materials". (Image : Sasha Cisar)

L'idée était ingénieuse : La cathédrale gothique Notre-Dame au centre de Lausanne devait être rénovée avec des pierres qui seraient mises à jour après la démolition d'un lotissement dans la ville. En effet, l'église a été construite avec des pierres locales qui se trouvent aujourd'hui sous la ville. "Gr?ce au chantier, les ressources étaient à nouveau accessibles pour une courte période", explique Guillaume Habert, professeur d'ETH en durabilité de la construction. Le projet est étudié par un doctorant, encadré par Habert et l'initiateur de l'idée, un professeur d'architecture de la haute école spécialisée genevoise Hepia. Une chose est cependant d'ores et déjà certaine : "Pour des raisons de temps, le projet n'a pas pu être mis en ?uvre", regrette Habert. Le temps que tout soit réglé, les pierres du chantier étaient déjà détruites et trop petites pour être rénovées. "Mais la conscience a été éveillée - un premier pas", se réjouit-il. "Peut-être que ?a marchera une autre fois, peut-être aussi dans une autre ville".

Guillaume Habert, professeur à l'ETH. (Image : Giulia Marthaler)
Guillaume Habert, professeur à l'ETH. (Image : Giulia Marthaler)
"Partout où il y a une interface entre l'environnement et la société, cela devient passionnant".Guillaume Habert

Habert s'intéresse depuis longtemps à l'utilisation des ressources locales, surtout dans les zones urbaines où les besoins sont particulièrement importants. Une problématique qui revient souvent dans ce contexte est la disponibilité des ressources. Certes, sous une ville, il y a plus qu'assez de pierres pour construire. Mais personne ne veut d'une carrière dans la ville. Et là où les pierres sont extraites, personne n'en a besoin. Les conséquences : de longues distances de transport, des co?ts de transport élevés - sans parler du bilan écologique. Pour Habert, dans le secteur de la construction, il s'agit moins de la rareté des ressources que de leur répartition.

Le béton déjà utilisé constitue l'une des principales ressources locales pour la construction en ville. En effet, ses composants - gravier, sable et ciment - peuvent être partiellement réutilisés après la démolition d'un b?timent. Pour ce faire, le béton extrait est d'abord broyé. Le gravier et le sable peuvent ainsi être récupérés et utilisés dans un nouveau béton. La poussière qui en résulte se compose en grande partie de ciment, qui a réagi avec l'eau lors de la fabrication du béton.

"Le recyclage du ciment est plus exigeant - mais particulièrement important", constate le professeur en durabilité de la construction. En effet, la fabrication du ciment produit de grandes quantités de dioxyde de carbone (CO2) : d'une part, lors du chauffage des deux matériaux de base, le calcaire et l'argile, à 1500 °C et, d'autre part, lors de la transformation chimique du calcaire. Cette dernière génère à elle seule une demi-tonne de CO2. Lors du recyclage dans une cimenterie, la matière première doit certes être chauffée une nouvelle fois à haute température pour retrouver sa forme d'origine, mais cette opération n'entra?ne pas de nouvelles émissions de CO2 - à condition que le chauffage soit climatiquement neutre.

Moins de ciment, moins de CO2-?missions de CO2

Le ciment est le liant idéal dans le béton, qui, mélangé à de l'eau, maintient ensemble le gravier et le sable. Dans le cadre du programme national de recherche Transition énergétique (PNR 70), Habert dirige le projet "Béton à faible consommation d'énergie", auquel collaborent également d'autres scientifiques de l'ETH ainsi que des groupes de recherche de l'EPFL et de l'Empa. L'objectif du projet : un produit en béton qui contient moins de ciment que les produits en béton traditionnels, mais qui possède toujours les mêmes propriétés. Aujourd'hui déjà, lors de la fabrication du béton, une partie du ciment est remplacée par des déchets provenant d'autres industries, par exemple de l'industrie de l'acier ou du charbon. Ces déchets ont des propriétés idéales et ne peuvent pas être recyclés par l'industrie de production. De tels déchets remplacent aujourd'hui un peu plus de 30 pour cent du ciment dans les produits commerciaux en béton.

Les chercheurs veulent maintenant doubler la teneur en déchets sans que la résistance mécanique du produit final ne se détériore. Elle devrait rester à 30 mégapascals. "Cela permettrait de réaliser des constructions de même dimension qu'aujourd'hui, de réduire les émissions de CO2-Mais le bilan serait nettement meilleur", explique Habert. Actuellement, l'équipe est en train de caractériser le nouveau béton avec moins de ciment et de l'optimiser toujours plus.

L'un des défis auxquels les chercheurs sont régulièrement confrontés est l'interaction du béton sans ciment avec d'autres matériaux, comme l'acier d'armature qui est coulé avec le béton lors de la construction. Si le béton ne contient pas suffisamment de ciment pur, l'acier rouille beaucoup trop vite. "De telles constructions en béton armé seraient moins durables, et cela ne peut évidemment pas être notre objectif", résume Habert. Outre l'optimisation du nouveau béton, les scientifiques développent donc également des alternatives à l'acier d'armature. Ensemble, ils cherchent des alternatives inoxydables, comme les polymères à base de fibres de carbone ou les fibres synthétiques. "Je me concentre sur l'impact environnemental de ces matériaux", explique Habert. Il analyse les émissions de CO2-L'étude présente le bilan des différentes technologies et montre où il est possible d'optimiser le bilan.

Sur le campus du H?nggerberg, par exemple, cet été, le "Maison des ressources naturelles" sous la direction d'Andrea Frangi, qui est à la fois un immeuble de bureaux et un laboratoire de recherche. Lors de la construction, le béton n'a pas été coulé avec de l'acier, mais avec du bois. "La combinaison du béton et du bois est idéale. Car il n'y a aucun risque de corrosion du matériau", explique Guillaume Habert.

Une approche radicale

Une autre approche de recherche de Guillaume Habert est bien plus radicale : le béton avec de l'argile plut?t qu'avec du ciment. Comme le matériau de construction n'est pas chauffé à haute température et ne déclenche donc pas de réaction chimique, il est beaucoup plus écologique. Mais cela a aussi ses inconvénients : La résistance mécanique est environ dix fois inférieure, à seulement 3 mégapascals, à celle du béton traditionnel avec ciment. "C'est pourquoi ce type de béton n'entre pas en ligne de compte pour les mêmes applications", explique Habert. Une possibilité pourrait être d'utiliser le béton sans ciment uniquement pour les murs non porteurs. Cela permettrait déjà de réduire considérablement la consommation de ciment.

Le groupe de recherche de Habert s'emploie actuellement à optimiser non seulement le matériau en lui-même, mais aussi son utilisation sur le chantier. Lorsque le nouveau béton est coulé dans le coffrage et qu'il sèche, des fissures se forment encore actuellement. C'est pourquoi les chercheurs travaillent à modifier chimiquement les propriétés de surface de l'argile. L'objectif est que le béton puisse être mis en ?uvre sans ciment en l'espace de trois heures - comme l'original. Lors de l'essai, le béton sans ciment sèche au bout de 30 minutes seulement. C'est beaucoup trop court pour le transport et la mise en ?uvre. Des coffrages spéciaux avec des pores perméables à l'eau pourraient également apporter une aide supplémentaire.

Mais Habert est conscient qu'un nouveau matériau de construction n'a de chances sur le marché que si le savoir-faire conventionnel de l'industrie du b?timent continue d'être demandé. "Presque personne n'est prêt à payer plus pour une construction respectueuse de l'environnement", explique Habert.

Prochaine génération

Les étudiants de Habert doivent également apprendre cela. C'est pourquoi il a organisé cette année la Summer School "Grounded Materials" en collaboration avec la haute école d'architecture Ensag de Grenoble et le TdLab du Département des sciences des systèmes de l'environnement de l'ETH. Les étudiants de l'ETH Zurich se sont penchés sur la question suivante : comment des matériaux locaux respectueux de l'environnement peuvent-ils être transférés de Zurich à l'industrie locale de la construction ? Pendant deux semaines, des étudiants des départements d'architecture, de science des matériaux, de sciences des systèmes de l'environnement ainsi que de construction, d'environnement et de géomatique ont identifié les barrières qui empêchent l'essor des matériaux de construction locaux. Partant de là, ils ont développé des stratégies pour rendre de tels matériaux attractifs pour les parties prenantes. L'accent n'a pas été mis sur les indicateurs techniques tels que la résistance du béton ou les émissions de CO2-Les participants ont plut?t évolué dans les disciplines de la sociologie, de l'économie et de la communication.

Guillaume Habert est très satisfait d'avoir suscité une prise de conscience de ces questions chez les jeunes générations. "Pour moi, en tant que géologue, les ressources sont d'abord quelque chose de physique : à un endroit, dans une certaine quantité", résume-t-il. "Mais dès qu'il y a une interface entre l'environnement et la société, cela commence à devenir passionnant". Comment peut-on utiliser la ressource ? Où se trouve-t-elle ? Et où est-elle nécessaire ? Qui sait comment l'utiliser ? Quel est son co?t ? Ses étudiants ont également appris cet été que ces questions sont importantes.

? propos de la personne

Guillaume Habert est depuis 2012 Professeur assistant en durabilité de la construction à l'ETH Zurich. Après avoir obtenu son doctorat en géologie à l'Université de Toulouse, il a travaillé comme ingénieur dans l'industrie de la construction avant de poursuivre sa carrière académique. Aujourd'hui, ses recherches se concentrent sur l'utilisation durable des matériaux de construction tout au long du cycle de vie des b?timents.

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