Analyse en temps réel des métabolites

Des biologistes de l'ETH Zurich ont développé une méthode gr?ce à laquelle ils peuvent pour la première fois mesurer les changements de concentration de plusieurs centaines de métabolites simultanément et presque en temps réel. Cette technique pourrait stimuler la recherche de nouveaux principes actifs pharmaceutiques et la recherche fondamentale en biologie.

Vue agrandie : image symbole biologie systémique
Circuits de la vie : gr?ce à une nouvelle méthode, les scientifiques de l'ETH peuvent mesurer en une minute une multitude de métabolites (points rouges et verts). (Image : Nicola Zamboni / ETH Zurich)

Génomique, protéomique, métabolomique. Les scientifiques qui s'intéressent à une discipline comportant le suffixe -omique analysent toujours l'ensemble de quelque chose. Dans le cas de la métabolomique, il s'agit de l'ensemble des métabolites - c'est-à-dire de tous les produits du métabolisme - d'une cellule ou d'un organisme. Les groupes de recherche d'Uwe Sauer, professeur de biologie systémique à l'ETH Zurich, et de Nicola Zamboni, chef de groupe à l'Institut de biologie systémique moléculaire, font partie des leaders dans ce domaine. Ils viennent de mettre au point une méthode qui leur permet de déterminer la concentration de centaines de métabolites simultanément et presque en temps réel.

L'analyse de tous les métabolites en une seule fois n'est pas si simple, car les métabolites sont une classe de substances biologiques très diversifiée. "Différents sucres, graisses, messagers et acides aminés en font partie, donc des molécules complètement différentes. Leur seul point commun est d'être petits, en tout cas par rapport aux protéines et aux molécules d'ARN présentes en masse dans les cellules", explique Sauer.

Métabolomique à haut débit

Pendant longtemps, la mesure simultanée de centaines de métabolites dans un liquide - par exemple dans l'urine ou le sang - ou dans des cellules a pris beaucoup de temps. La plupart du temps, les biologistes utilisaient pour cela des méthodes dans lesquelles le mélange de substances était d'abord séparé par chromatographie et les composants séparés étaient ensuite déterminés dans un spectromètre de masse.

Il y a quelques années, Sauer, Zamboni et leurs collègues ont mis au point une méthode qui permet de se passer de la séparation chromatographique. "Nous pouvons désormais analyser un échantillon directement dans un spectromètre de masse et, à l'aide d'un programme informatique que nous avons développé, filtrer des informations sur les composants à partir d'une grande quantité de données peu claires", explique le professeur Sauer de l'ETH. La détermination de 300 à 800 métabolites différents dans un échantillon ne prend ainsi plus qu'une minute. Si l'analyse de plusieurs milliers d'échantillons en une seule journée était autrefois un v?u pieux pour les scientifiques, cela est désormais devenu réalisable.

Mesures dynamiques automatisées

Mesure des métabolites
Résultat d'une expérience : pour près de 300 métabolites, des changements de concentration positifs (jaune) et négatifs (magenta) sont indiqués au fil du temps. (Image : Link H et al. Nature Methods 2015)

"Les succès obtenus avec cette méthose de mesure à haut débit nous ont donné l'idée des mesures en temps réel", explique Sauer. Celle-ci est utile, d'une part, parce que le métabolisme réagit extrêmement rapidement aux changements de stimuli : "Si l'on éclaire par exemple une plante maintenue dans l'obscurité, les concentrations de ses métabolites changent en quelques secondes". D'autre part, l'évolution temporelle exacte d'un changement de concentration en réponse à de nouveaux stimuli est une information importante et pertinente en biologie.

Les scientifiques de l'ETH ont mis en ?uvre leur idée de mesures en temps réel sur des cellules en culture : sur deux espèces de bactéries, une espèce de levure et des cellules de souris. Les chercheurs ont fait pousser les cellules dans un milieu nutritif juste à c?té de l'appareil de mesure. Un système de pompe à commande automatique prélevait toutes les dix secondes une minuscule quantité de la culture cellulaire pour l'analyser dans l'appareil.

Les bactéries en mode veille

Les chercheurs n'ont pas seulement réussi à prouver que de telles mesures en ligne sont en principe possibles avec tous les types de cultures cellulaires. Gr?ce à cette technique, les scientifiques ont également acquis de nouvelles connaissances sur la manière dont les bactéries de l'espèce E. coli passer d'un mode "stand-by" à une phase de croissance. Ils ont laissé des bactéries s'affamer pendant deux heures en les maintenant dans un milieu de culture sans sucre. Les bactéries passent alors en "mode veille" : elles arrêtent la production de la plupart des métabolites et décomposent ceux qui existent pour en tirer l'énergie nécessaire à leur survie. Après cette phase de famine, les scientifiques ont à nouveau alimenté les bactéries en sucre. En l'espace d'une minute, les cellules ont repris la production des métabolites pour cro?tre et se diviser.

Les scientifiques ont toutefois été déconcertés par le comportement de 10 des presque 300 métabolites étudiés. Ceux-ci se sont comportés différemment de la majorité : leur concentration a augmenté pendant la phase de famine et a de nouveau diminué pendant la phase d'approvisionnement optimal. Les chercheurs supposent qu'il s'agit de métabolites clés qui influencent la commutation extrêmement rapide de l'ensemble du métabolisme entre les deux phases. Ces dix métabolites sont huit acides aminés spécifiques - des éléments constitutifs des protéines - et deux molécules à partir desquelles les cellules fabriquent les éléments constitutifs de l'ADN et de l'ARN. Ils ont en commun le fait que la cellule doit dépenser une énergie particulièrement importante pour les fabriquer. "Nous partons du principe que la cellule ne dégrade pas ces précieux éléments constitutifs pendant la phase de famine, mais qu'elle les économise afin de disposer des meilleures conditions de départ possibles pour la phase de croissance qui suit", explique Sauer.

Gr?ce à un modèle informatique de biologie systémique, les scientifiques ont pu montrer comment fonctionne la régulation : Au début de la phase de croissance, les dix métabolites mis en réserve pendant la phase de famine empêchent, par des mécanismes de rétroaction, que les cellules en produisent davantage. Les cellules ne gaspillent donc pas d'énergie dans la construction co?teuse des dix métabolites et peuvent ainsi consacrer toutes leurs ressources à la synthèse des autres molécules.

Utile pour le développement de médicaments

Sauer fait actuellement conna?tre cette nouvelle méthode en temps réel dans le monde scientifique. "C'est une méthode très utile pour se faire une première idée de la manière dont les cellules réagissent à un stimulus extérieur. Dans ce contexte, elle se prête à l'analyse de tous les processus métaboliques qui se déroulent sur une période d'une demi-heure à plusieurs heures", explique le professeur de l'ETH. Il voit des domaines d'application non seulement dans la recherche fondamentale en biologie, mais aussi par exemple dans le screening de nouvelles substances pharmaceutiques potentielles. On pourrait ainsi découvrir comment une substance active modifie le métabolisme. Le groupe de Sauer utilise également cette méthode pour de telles études.

Référence bibliographique

Link H, Fuhrer T, Gerosa L, Zamboni N, Sauer U : Real-time metabolome profiling of the metabolic switch between starvation and growth, Nature Methods, 14 septembre 2015, doi : page externe10.1038/nmeth.3584

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