Isolation acoustique à l'aide de la physique quantique

Sebastian Huber et ses collègues ont montré que le chemin entre la théorie abstraite et l'application concrète ne doit pas toujours être long. Leur transposition mécanique d'un phénomène de mécanique quantique pourrait bient?t être utilisée dans l'isolation acoustique.

Vue agrandie : Modèle mécanique composé de 270 pendules
Modèle mécanique composé de 270 pendules reliés entre eux par des ressorts. Dans ce modèle, les pendules se comportent comme un isolateur topologique. (Image : Heidi Hostettler / ETH Zurich)

Beignets, électricité et physique quantique - ce qui, pour les profanes, ressemble à une absurde juxtaposition de termes, est pour Sebastian Huber une sorte de description de son domaine de travail. En tant que physicien théorique, le professeur Huber s'intéresse depuis des années aux isolants dits topologiques, c'est-à-dire aux matériaux dont la capacité à conduire le courant électrique a une origine topologique.

Vue agrandie : topologie
La tasse de café et le beignet peuvent être transformés l'un en l'autre en les tirant, en les étirant et en les déformant. Ils sont donc considérés comme topologiquement identiques. (Image : Sebastian Huber / ETH Zurich)

Pour comprendre ce que signifie "topologiquement", le plus simple est de se représenter un beignet qui peut être transformé en tasse à café en le tirant, en l'étirant et en le déformant - sans qu'il soit nécessaire de le découper. En ce sens, le beignet et la tasse de café sont topologiquement identiques, et si l'on applique le même principe aux fonctions d'onde quantiques des électrons dans un solide, on arrive au phénomène de l'isolateur topologique. C'est de la physique quantique avancée, hautement compliquée et très éloignée du monde quotidien. Néanmoins, le professeur Huber et ses collaborateurs sont maintenant parvenus à rendre ces idées abstraites très concrètes et, pour ainsi dire par la voie hiérarchique la plus courte, à en venir à des applications possibles dans le domaine de l'ingénierie avec des collègues de différentes disciplines à travers l'ETH.

Des quanta à la mécanique

Au départ, Huber s'est posé une question simple : peut-on appliquer le principe d'un isolateur topologique à des systèmes mécaniques ? En fait, la physique quantique et la mécanique sont deux mondes différents. Dans le monde quantique, les particules peuvent traverser des barrières et s'annuler ou s'amplifier mutuellement sous forme d'ondes, alors que la mécanique quotidienne a plut?t affaire à des corps en chute ou à la statique des ponts. Huber et ses collègues ont toutefois réalisé que les formules mathématiques décrivant les propriétés quantiques d'un isolateur topologique pouvaient être transformées de manière à ressembler à celles d'un système mécanique bien connu, à savoir une série de pendules oscillants.

En particulier, les formules mécaniques prédisaient, tout comme leur équivalent en mécanique quantique, des états dits de bord. Dans ces états d'excitation, un courant électrique (ou une oscillation mécanique) circule le long des bords du matériau, alors que l'intérieur du système reste totalement indifférent. "En théorie, c'était un beau résultat", dit Huber, "mais c'est bien s?r en mettant cela en pratique que l'on arrive le mieux à convaincre les gens".

Aussit?t dit, aussit?t fait. En collaboration avec des techniciens de l'ETH, Huber et son étudiant ont construit un modèle mécanique composé de 270 pendules disposés dans une grille rectangulaire et reliés entre eux par de petits ressorts. Deux des pendules peuvent ainsi être excités mécaniquement, c'est-à-dire secoués d'avant en arrière à une fréquence et une force déterminées. Gr?ce aux couplages de ressorts, les autres pendules sont également mis en oscillation au fur et à mesure. A une certaine fréquence d'excitation, les physiciens ont finalement vu ce qu'ils avaient espéré : Les pendules à l'intérieur du rectangle étaient immobiles, tandis que ceux situés sur le bord oscillaient de manière rythmique, créant ainsi une sorte de "vague" autour du rectangle. Les pendules couplés se sont donc effectivement comportés comme un isolateur topologique.

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Modèle mécanique composé de 270 pendules qui se comportent comme un isolateur topologique. La taille des points bleus indique la déviation. (Vidéo : Sebastian Huber / ETH Zurich)

Bras robotisés et lentilles sonores

Bient?t, ce qui était d'abord une fantaisie puis un joli gadget pour le professeur Huber de l'ETH pourrait s'avérer être un outil utile. Les états mécaniques marginaux des pendules couplés sont en effet très robustes - "topologiquement protégés", comme on dit dans le jargon - et subsistent même si l'on met du désordre dans la rangée de pendules ou même si l'on supprime tout simplement une partie du rectangle. De telles propriétés seraient par exemple intéressantes pour l'isolation phonique et vibratoire, par exemple dans la production industrielle, où les bras robotisés doivent placer des composants avec précision et sans trembler. On peut en outre imaginer des matériaux qui ne transportent le son que dans une seule direction ou qui le concentrent comme une lentille optique.

"De telles applications représentent un grand défi, mais elles sont tout à fait réalistes", estime Chiara Daraio, professeure de mécanique et de matériaux à l'ETH. Pour cela, il faut bien s?r commencer par rendre les systèmes mécaniques plus compacts - les pendules de Huber mesurent tout de même un demi-mètre de long et pèsent chacun un demi-kilo. Les ingénieurs sont déjà en train de construire un appareil qui se passe de ces nombreux pendules et qui ne mesure en outre que quelques centimètres.

Référence bibliographique

Süsstrunk R, Huber SD : Observation of phononic helical edge states in a mechanical topological insulator. Science 2015, 349 : 47-50, doi : page externe10.1126/science.aab0239

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